Le repas avait commencé depuis quelques minutes maintenant, et étant l’une des plus jeunes, je m’apprêtais enfin à me servir, après avoir laissé place aux autres. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’étais vraiment affamée aujourd’hui, et l’idée qu’il ne me reste plus rien à me mettre sous la langue m’angoissait, surtout que je n’osais pas demander aux adultes de me garder un petit bout à croquer… Après quelques minutes d’attentes dissimulée derrière un arbre à observer les autres se régaler, j’entrevis une petite ouverture pour aller manger discrètement sans trop me faire remarquer des grands. J’entrepris alors de piquer un morceau de lièvre assez conséquent laissé à l’abandon, et essayait de l’emporter ni vu ni connu pour le dévorer plus loin. Seulement alors que je tentais de me retirer avec ma prise sans trop porté l’attention sur moi, j’entendis les mots suivants suivant surgir de derrière moi :

« Salut !»

Euh, mince… Surprise ! Ma gueule s’ouvre toute seule et mon futur repas s’en échappe immédiatement en glissant au sol. Je me retourne et vois alors une jeune louve qui se tiens maintenant devant moi. Elle m’a l’air plutôt jeune. En tout cas, elle est définitivement plus jeune que moi. Je la fixe, espérant comprendre pourquoi elle m’a interpellée, mais celle-ci continue à me regarder étrangement avec un moineau dans la bouche et un sourire béat. Soudain, elle se met à parler à nouveau, comme pour combler le blanc malaisant qui commençait à s’installer.

« Euh…je suis apprenti sentinelle, mon maître c’est Nyméria, tu la connais ? Elle est trop bien, en plus c’est ma grande sœur, et toi, tu es apprenti quoi  Je me souviens de t’avoir vu quand j’étais plus petite, mais on ne c’est jamais parlé. Tu veux qu’on fasse un truc après ? Au fait, tu t’appelles comment ? Moi se suis Henael, mais tu dois sûrement le savoir !»

Vu de la où je me trouvais, ce flot de parole ressemblait à un charabia incompréhensible, mais heureusement, j’avais l’ouïe fine et je devinais ses paroles. Je crois qu’elle ne s’est as rendu compte qu’elle tient encore son moineau dans la gueule, c’est très perturbant, vraiment…
Un peu prise au dépourvu par se flot de questions, je me concentrais un moment pour essayer d’y répondre, surtout que je ne me sentais pas à l’aise avec cette jeune louve qui pénétrait dans mon espace personnelle et ma vie sans que je m’y sois préparée.

« Salut, tu as encore ton moineau dans la bouche ! J’ai vraiment du mal à comprendre ce que tu dis ! Euh, enfin, si tu pouvais le poser, ce serait plus pratique je pense ! »

Mince, ces mots sont sortis tous seuls j’espère que ce n’était pas trop brusque de ma part et qu’elle ne va pas le prendre mal, zut, zut et zut !

« Euh, pour répondre à ta question, je ne connais pas Nymémachin, ça doit être une adulte, je, je ne parle pas trop aux adultes en fait… Je suis apprentie espionne, du coup je ne dois pas m’entraîner aux mêmes endroits que toi, c’est peu être pour ça qu’on ne se croise pas beaucoup, surtout que, que je ne parle pas beaucoup… »


C’était ‘une des rares fois où j’adressais la parole à un membre de ma meute, je me sentais vraiment mal, et j’avais envie de m’éclipser, mais je me sentais un peu seule dans le fond, et je s’était une bonne occasion pour éventuellement m’approcher de quelqu’un. J’essayais de reprendre possession de mes moyens.

« Je m’appelle Urakys en fait. Je te connaissais de nom je crois, tu dois être la fille de l’alpha, ou d’une personne connue dans la meute en tout cas. Je veux bien faire un truc avec toi si tu veux, mais je ne sais pas trop jouer en fait… Tu voudrais faire quoi ? »

Je me retournais pour reprendre mon morceau de gibier en me disant que je pourrai le manger en attendant qu’elle réfléchisse à une activité, mais mon regard se posa tout d’abord sur du vide, puis sur un loup un peu plus loin qui dévorait ce qui devais être MON repas. J’étais choquée et désespérée et c’est avec un fond de larmes dans les yeux que je me retournais vers Henael. Ce sale ninja, il verra plus tard a qui devait revenir ce repas, enfin, quand j’aurai assez de personnalité pour m’affirmer j’imagine…

Après notre dernière discussion, Henael et moi sommes parties en direction du lac. Lorsqu’il apparut enfin dans mon champ de vision, mes yeux s’écarquillèrent ! C’était tellement beau ! Je n’avais jamais vu autant d’eau au même endroit et elle était si pure, c’était presque transparent, comme un voile qui contenait en son sein un autre monde ou un portail vers une autre dimension ! Henael m’a ensuite proposé de faire la course jusqu’au lac. La course, ça je connais ! En tout cas courir je connais, mais je n’ai jamais vraiment été en compétition avec quelqu’un pour ça. J’aime beaucoup gambader dans la nature et explorer le plus loin possible, je peux courir des heures sans m’arrêter, alors cette petite boule de poil allait voir ce que j’avais dans le ventre. Bon, bien entendu j’ai gagné, mais il faut avouer que ses pattes devaient faire la moitié des miennes, donc elle avait peu de chance de me battre, même si elle avait été un guépard.
Nous étions maintenant à un pas de l’eau. Elle m’avait l’air si fraiche et revigorante ! J’ai enfin pu voir mon reflet ! Je ne savais pas que mes yeux étaient argentés. On aurait dit deux pleines lunes, je les aime bien. J’ai essayé de faire des ronds moi aussi, parce que la petite venait de me montrer comment faire. Finalement je crois que j’ai enfoncé mon museau trop loin, mais ce n’était pas grave, parce qu’en soufflant, j’ai vu que j’arrivais à faire des bulles, alors j’ai continué à faire des remous pendant plusieurs minutes, je trouvais ça trop drôle et ça me chatouillait le poil !

Vient-on va dans l’eau pour attraper les poissons. »

Ça c’est une phrase qui me plait ! J’avais vraiment hâte d’essayer. Henael rentra dans l’eau et je la suivis rapidement, sauf que je me rendis compte très vite que l’eau était très froide, presque glacée. Je n’aimais pas trop avoir froid, mais après quelques allers-retours à rentrer un peu plus profondément dans l’eau à chaque fois, je me lançais. Heureusement, j’avais une fourrure épaisse, qui était assez étanche à l’eau et me protégeais plutôt bien du froid. Je l’avais déjà remarqué avant d’arrivé au lac, mais il y avait beaucoup de loups autour de nous, et ça me mettais plutôt mal à l’aise. Si ça se trouve, ils allaient m’obliger à rapporter chaque poisson pêché à la meute et je ne pourrais pas en manger !

« Si on ne bouge pas, les poissons vont venir nager à côté de nous Ura, regarde, il ne faut pas faire de bruit. »

Ne pas bouger ! Compris, ça je sais faire aussi ! Je peux rester des heures en haut d’une colline en plein vent à observer le paysage et la moindre petite branche qui bouge à l’horizon. Bon par contre, là on est dans l’eau et j’ai les coussinets qui gèlent, mais ce n’est pas pire que de la neige !

J’attendais donc patiemment. J’étais complètement stoïque et pas un seul de mes muscles ne bougeait malgré le froid de l’eau et les frissons qui avaient envie de me parcourir. J’étais comme un rocher posé dans l’eau depuis toujours. Seuls mes yeux faisaient des mouvements de va et viens. J’avais repéré un poisson un peu plus gros que les autres et je le suivais du regard. Je ne le lâchais pas une seule seconde, parce que celui-là, je sentais qu’il allait être délicieux !

Le poisson arrive vers moi et commence à slalomer entre mes pattes, rejoins par quelques poissons un peu plus petits qui on l’air de me confondre avec un abri. Ma proie passe soudainement sous ma gueule ! D’un mouvement rapide et instinctif, je plonge ma tête dans l’eau la bouche complètement ouverte et referme violement mes crocs lorsque je sens un morceau mou au contact de ma langue que j’entoure autour de ma proie pour l’agripper encore mieux ! Je ressors non pas un, mais deux poissons de l’eau ! En effet, un autre plus petits c’était retrouvé au mauvais endroit au mouvais moment ! Par reflexe, je me dirige immédiatement vers la berge, car mon futur repas se tortille et se débat dans tous les sens, et mon dieu, ça glisse un poisson frais ! On dirait presque que c’est de l’eau qui essaye de s’échapper de notre bouche ! Je pose enfin mes pieds sur un sol sec et assomme mes 2 morceaux de viandes d’un coup sec contre un rocher en balançant ma tête. Là ils ne bougent plus au moins ! Je les pose par terre et lance un regard en direction d’Henael qui me regarde. Je lui souris et cris :

« Dessert ! »

Le tout avec un énorme sourire d’un enfant content d’une blague totalement anodine (et avec mes poissons encore dans la bouche, donc je ne suis pas sure qu’elle m’ait comprise !). Elle me fait rire cette petite ! Comme elle a voulu s’avancer autant que moi dans l’eau mais qu’elle est moins grande, elle remuait les pattes pour pouvoir tenir sa tête hors de l’eau et chassait les poissons pour qu’ils viennent se réfugier sous moi qui ne bougeait pas ! En tous cas elle doit être fatiguée d’avoir remuée comme ça celle-là ! Elle a pas mal d’endurance aussi j’ai l’impression.

« Reviens poser tes pattes, tu dois être fatiguée ! En plus tu risque de te faire croquer par un piranha ! Je ne sais pas si tu sais ce que c’est, mais c’est un genre de monstre avec une mâchoire énorme qui attaque en groupe ceux qui vont dans l’eau et le morde à plusieurs en même temps ! Et comme tu es petite, ils pourraient te manger à deux seulement ! »

Bon, j’avoue, il n’y a absolument pas de piranha dans ce lac. D’après ce qu’on m’a raconté, ça ne vie absolument pas ici ! Mais j’ai envie de la taquiner un peu et puis il faut qu’elle sorte de l’eau parce qu’elle va tomber malade vu le froid qu’il y fait. Pourtant elle a l’air de vouloir y rester…

« Humm, ça à l’air bon, on peu les manger ? »

La question ne se posait même pas ! Bien sûr qu’on les mange ! Je lui adressais un hochement de tête bien dynamique accompagnée d’un sourire et commençais à goûter au premier poisson. Comme j’avais envie de goûter les deux, je lui disais :

« On fait moitié moitié pour chaque poisson, comme ça on peut regarder s’ils ont des goûts différents ! »

Je commençais par le plus gros (gourmandise oblige) et découvrais avec bonheur le délice de sa chair ! Il était vraiment succulent ! Sa viande était douce, il n’y avait pas besoin de la mâcher férocement pour la réduire en petit bouts qui vous fondaient alors sous la langue, libérant un jus exquis ! J’avais du mal à m’arrêter et dont j’avais promis de me contenter disparu en un éclair ! Je laissais l’autre moitié à Henael et finissait le petit poisson qu’elle avait à moitié mangé aussi. Il était légèrement moins bon, mais tellement plus coulant. J’adore le poisson, c’est vraiment agréable à manger. Après c’est vrai que ça ne calmera pas l’envie que j’ai parfois de manger bien gras qui me fait me jeter sur la viande.

Après notre repas, je me tournais vers Henael avec un grand sourire ! Je l’aimais vraiment cette petite, elle était tellement mignonne ! En plus, si elle ne m’avait pas proposé de venir au lac, je n’y serais jamais allé avec la foule de loups qui traîne généralement ici ! Il faudrait vraiment que je revienne plus souvent ! Je pourrai avoir mon poisson, rien qu’à moi !

« Ce serai vraiment cool qu’on revienne pêcher ici quand on aura le temps ! »

J’étais contente de cette partie de pêche. Je me demandais maintenant ce qu’elle allait bien pouvoir me proposer comme activité ! Jeune comme elle est, elle doit surement avoir plein d’idées pour se dépenser.

Avec Henael, nous étions finalement retournées là où j’avais perdu mon morceau de lièvre alors que mon ventre me criait famine. Cela me rappela alors notre précédente partie de pêche et le délicieux repas qui s’en suivit. La nuit allait bientôt tomber, et il était temps pour nous deux de nous rendre à nos cours du soir dispensé par nos maîtres respectifs.

« Bon, bah, je dois y aller, on se voit demain hein ? »

Je ne pouvais pas vraiment répondre oui à cette question car mon maître ne donnait pas de leçons vraiment bien fixées. Elles dépendaient de la situation, du moment, de ce qui nous entourait, de ses envies et de ce fait, elles pouvaient durer une heure comme plusieurs journées.

« J’espère, mais ça va dépendre de mes leçons. Parfois elles me prennent beaucoup plus de temps que prévu. »

Je remarquais une louve qui fixait Henael un peu plus loin. Je comprenais qu’il s’agissait sans doute de son maître qui l’attendait.
J’étais un peu triste de devoir la quitter pour aujourd’hui. J’aurai aimé que cette journée dure plus longtemps. Pour une fois, je me sentais vraiment détendue, et j’avais l’impression que mon cœur était beaucoup plus léger que ce matin. C’était la première fois que je m’entendais aussi bien avec quelqu’un et que je m’amusais une journée entière. J’étais un peu déçue de devoir aller à ma leçon du soir ce jour-là.

« Merci beaucoup pour aujourd’hui. Je pense que ton maître t’attend, donc il ne faudra pas trop traîner j’imagine. Le mien, je dois avouer qu’il va me falloir le trouver. Je ne suis pas prête de me coucher ! »

Je disais ça avec un sourire sur la gueule, car j’étais presque sûre que j’allais devoir jouer une longue partie de cache-cache avant que ma leçon ne commence.
C'était un peu dure de dire au revoir à cet instant.