Douce nuit, chaude empathie. Le soleil avait salué dame lune quelques heures auparavant, laissant sa chaude lumière s’éloigner peu à peu. A la place, il n’y avait plus que cette douce lumière blanche, quoi qu’un peu stérile. Et pourtant, la température n’avait pas encore chuté. Il y avait certes cette douce brise de fin d’été, qui venait parfois se frayer un passage parmi les hautes herbes, mais rien ne venait refroidir l’ambiance douce et chaude de cette nuit sous les étoiles. C’était une bonne nuit pour profiter de l’été et une bonne nuit aussi pour admirer la faune et la flore qui pouvait fréquenter les terres de la meute des Kuragari.

Rhapsody avançait lentement mais surement, l’œil alerte et les oreilles dressées sur le sommet de son crâne. Il était légèrement fatigué par la longue journée de chasse qu’il avait entreprit d’accomplir et ne souhaitait plus qu’une chose, se trouver un coin tranquille et reculé pour aller se reposer. Il s’était levé bien avant le soleil et avait quitté les siens pour aller chasser toute la journée, afin de remplir quelque peu le garde-manger de la meute. Longtemps il avait erré sans trouver de proies, qu’il s’agisse de quelque chose comme un sanglier, ou comme un oiseau. Il avait même manqué de perdre espoir à un moment donné, emporté par une foule de sentiments négatifs. Puis il s’était reprit et avait finalement trouvé le salut en une source d’eau, dans laquelle il avait pu pêcher des truites absolument ravissantes. Et bien sûr, il avait ensuite fallu ramener tout cela jusqu’à la meute. Puis repartir, pour un peu de calme, loin du tumulte que provoquait les plus jeunes loups.

Malheureusement, toute cette journée de marche, de chasse, de traque et de tensions diverses avait eu raison du corps du jeune chasseur qui, épuisé, avait fini par remarquer qu’il était tout bonnement épuisé. Ses pattes se trainaient sur le sol poussiéreux et ses yeux perdus tentaient de trouver un endroit ou il pourrait se reposer pour la nuit.

Il trouva enfin ce qu’il cherchait, lorsque son regard se posa sur un petit tas de mousse à peine séchée par les rayons du soleil. L’endroit était tiède, mais pas trop chaud non plus, assez grand pour deux ou trois loups et caché au pied d’un grand arbre. Le chasseur de la meute des Kuragari sourit faiblement et renifla sa future couchette. Pas la moindre odeur d’un loup fraîchement passé ; il ne risquerait donc pas de déranger l’un de ses congénères en lui piquant ce petit nid douillet. Avec un certain automatisme, il alla inspecter les odeurs sur les plantes aux alentours, pour s’assurer de n’être sur le chemin d’aucun animal dangereux, puis, toujours avec une certaine satisfaction, il s’allongea finalement dans sa petite couchette de fortune.

Le loup aux yeux bleus soupira d’aise et de contentement. Ses coussinets n’étaient enfin plus en contact avec le sol chaud et il sentait ses muscles s’apaiser peu à peu de ne plus avoir à supporter son grand corps de mâle. Un sourire acheva même de se dessiner au coin de ses babines, alors qu’il baillait légèrement. Il s’apprêtait d’ailleurs à fermer les yeux lorsqu’une odeur délicate effleura son museau. Curieux, il se redressa quelque peu et attendit de voir si quelqu’un se manifesterait à lui.
 

Elle avait le pelage aussi noir que la nuit et l’allure aussi sereine et calme qu’une douce brise d’été. Elle était là, juste devant ses yeux bleus, comme si tout était normal et que rien ne viendrait jamais troubler cet instant si particulier. Et pourtant, chaque rencontre avait quelque chose d’unique et de particulier, que ce soit ici, ailleurs, maintenant ou dans une centaine d’années. Sortie de nulle part et de partout à la fois, la louve le toisait avec une étrange douceur. « Les étoiles vont être assez visible pour que l'on puisse les admirer, ce soir. ». Ces mots mêmes avaient quelque chose de doux et de bienveillant. Etrangement, elle lui rappelait quelque peu Dame Vénus, qu’il avait croisé quelques temps plus tôt, au pied de la montagne et qui avait agit à son égard avec une très grande pureté d’âme. Le loup sombre suivit son regard et observa le ciel, un peu songeur. Effectivement, les étoiles semblaient briller un peu plus chaque seconde et c’était assez plaisant. Il n’était pas de ceux qui observait les étoiles en permanence, mais il devait bien admettre que leur présence avait toujours été rassurante pour lui.

Rhapsody s’assit, pour paraître plus poli. Il n’avait pas l’habitude de croiser des dames à cette heure-ci, et encore moins des louves qui ne faisaient pas partie de la meute. Il y avait toutefois dans son pelage quelque chose d’étrange qui lui indiquait qu’elle n’était pas ici pour de mauvaises raisons, et il était même persuadé de flairer le parfum de quelques-uns des siens. Il devait s’agir d’une guérisseuse ou d’une mercenaire, qui avait des laisser-passer sur les terres des Kuragari. Et bien qu’il dût admettre qu’elle ne semblait en rien être une mercenaire -vu comment on lui avait décrit ces loups- il ne pouvait s’empêcher d’être tout du moins un peu méfiant. Dans ce monde tout particulièrement, les apparences étaient souvent trompeuses. Il se racla la gorge, puis après une légère absence, il répondit simplement « En effet ».

Il pencha la tête un peu en avant, pour saluer la louve avec un semblant de politesse. Il ignorait peut-être qui elle était, mais il ne pouvait pourtant pas ignorer la bienséance et le respect dans lequel il avait été élevé depuis qu’il était enfant. « Je suis Rhapsody. Serait-il impoli de vous demander votre prénom ? ». Un prénom, c’était la moindre des choses pour apprendre à connaitre la louve étrangère. Un prénom pourtant, c’était parfois une information très chère et très fragile. Il ne s’était jamais risqué à importuner quelqu’un qui ne souhaitait pas lui donner son nom, mais il espérait tout du moins qu’il pourrait se risquer à discuter avec l’inconnue sombre.

Elle semblait gênée. Mais gênée de quoi ? Le regard vers le sol pendant quelques secondes, Rhapsody eut l’impression de faire face à un louveteau que l’on gronde un peu, après qu’il ait fait une petite bêtise. En avait-elle fait une ? A moins que ce ne soit lui qui se soit mal comporté. Avec sa politesse à foison et ses grandes phrases, il en oubliait parfois qu’il pouvait mettre les autres mal à l’aise. Peut-être l’avait-il fait en lui demandant son identité ? Car après tout, elle pouvait tout aussi bien ne pas avoir de prénom, même s’il en doutait grandement. « Je vous prie de m'excuser, la nuit est tellement belle que j'en oublis les politesses. Je me nomme Valkyrie. Je suis une guérisseuse vagabonde, votre Alpha m'a accordé un laissé-passer sur vos terres. » Lentement, Rhapsody hoche la tête. Il avait vu juste lorsqu’il en avait conclu qu’elle n’était pas ici pour défier l’autorité de son alpha. Et il avait vu encore plus juste en l’affublant du rôle de guérisseuse plutôt que de celui de mercenaire. Lentement, elle s’approcha quelque peu de lui. Il la laissa faire, ne ressentant pas outre-mesure le besoin de s’éloigner de l’inconnue. « Ne vous excusez-pas pour si peu. Je comprends. » Il comprenait ? Un peu, oui. Ou du moins avait-il saisit l’idée selon laquelle il arrivait parfois que l’on soit trop absorbé par le spectacle de la nature pour se concentrer sur autre chose. Mais il n’était pas vraiment rancunier à l’idée que les étoiles aient réussi à lui piquer la vedette. Au contraire. Ça lui avait tout juste laissé le temps d’observer la louve au pelage noir et de tenter de décrypter qui elle pouvait être. Alors, ça n’était vraiment pas un mal.

Rhapsody lui offrit un faible sourire en guise d’approbation, comme pour lui signifier que sa présence ne le dérangeait pas. Il était certes épuisé par sa journée et sentait ses muscles faiblir en lui, mais il n’en restait pas moins heureux de rencontrer une nouvelle congénère, d’autant plus si elle était amie avec la meute des Kuragari. Et puis, peu importe l’heure du jour ou de la nuit, il avait toujours prit un certain plaisir à converser avec des inconnus. Il voyait là-dedans une sorte d’enrichissement personnel et ressortait toujours plus instruit et plus tolérant de ces conversations avec d’illustres inconnus. « Dites-moi Valkyrie, avez-vous passé une bonne journée ? » Question anodine et pourtant un peu brusque il devait bien l’admettre. Toutefois, il avait toujours été un peu curieux et aimait s’enquérir de l’état des autres, juste pour être certain que tout allait bien. Même s’il ne connaissait pas la louve, il avait l’impression que sa réponse l’intéresserait plus que d’ordinaire. Peut-être se faisait-il de douces illusions. Ou peut-être pas.

« Je vous remercie. » Et voilà qu’une politesse des plus agréable s’échappa de la louve qui lui faisait face. Rhapsody en sourit un peu plus, rassuré et satisfait de constater qu’il faisait face là à quelqu’un de bien éduqué, avec une certaine bienséance. Et en même temps, il avait envie de lui assurer que ce n’était rien, qu’elle n’avait pas à être aussi polie à son égard, qu’il n’était pas de ces loups qui s’offusquent à la moindre chose qui ne va pas. Complexe. Il l’observa pourtant sans rien dire, parce qu’il ne voulait pas se perdre oralement dans les méandres de ses pensées parfois bien tortueuse. Autant qu’elle reste sur l’idée qu’il fallait être polis. Il s’en accommoderait pour le moment et, bien plus tard, il lui montrerait à quel point sa vision des choses -à lui- était à la fois complexe et simple. Ou peut-être n’aurait-il pas cette occasion. Qui sait. Le loup sombre aux yeux bleus cru voir son visage s’éclairer lorsqu’il s’enquit de sa journée passé et il devina qu’elle avait dû lui être fortement agréable. « Oui, elle fut plutôt bonne ! J'ai pu la passer avec mes deux enfants : Alakey et Zaliha. Ils font partis des Kuragari. »

A ces mots, Rhapsody tenta de ce souvenir de ces noms. Il faisait partie de la meute depuis tout petit et devait forcément les connaitre, mais pour l’heure, il ne parvenait pas à mettre un visage sur ces deux-là. Il les avait pourtant déjà entendus, il en était absolument certain. Le reste lui semblait obscure. Toutefois, il ne s’attarda pas vraiment là-dessus, trop occupé à constater que la louve, bien que vagabonde, était une guérisseuse qui avait le droit de rendre visite à ses petits. Il ne pouvait s’empêcher de trouver cela parfaitement attendrissant et il songea que son alpha était une louve bienveillante à l’égard de tous et même des étrangers. Il l’observa s’asseoir en face de lui et apprécia d’autant plus le fait qu’elle ne cherche pas à l’approcher. « Voilà quelque chose de doux à entendre. Je suis content pour vous. » Et il l’était réellement. Le loup de la meute des Kuragari aimait profondément ses congénères et était toujours content de les savoir heureux, qu’il soit de sa meute, ou de parfaits inconnus. « Votre journée fut-elle aussi, plaisante ? »

Rhapsody rigola doucement. Sa journée avait été loin d’être de tout repos. Il était épuisé par la chasse et ses muscles le lui rappelait longuement. Il secoua doucement la tête, toujours le sourire au coin des babines. « Elle ne fut pas plaisante, mais pas déplaisante non plus. J’ai simplement dû faire mon devoir de chasseur. » Il évita de lui parler du nombre d’heure qu’il avait passé à perdre espoir dans cette seule et unique journée ; ça n’était pas très intéressant et il doutait sérieusement qu’elle voudrait en savoir tant à son sujet. Mais en même temps, il avait la fugace et dérangeante impression de gâcher cet agréable moment, en parlant ainsi, alors il reprit, avec un peu plus de douceur ; « Toutefois, je suis content de ce que j’ai accomplis aujourd’hui. Et il me semble que c’est le plus important, n’est-ce pas ? »

Une brise douce souffla pendant quelques secondes et Rhapsody ne put s’empêcher de bailler légèrement. Si ses muscles commençaient légèrement à chauffer, lui ne se sentait pourtant pas réellement fatigué. Pourtant, il n’avait pu se contrôler. Il dormirait bien cette nuit, c’était certain. Mais pour l’heure, il allait s’accommoder de l’agréable présence de la louve qui avait croisé sa route. « Il est vrai, qu'être satisfait de ce que l'on a accompli tout au long d'une journée, est peut-être une des choses les plus satisfaisantes que l'on puisse souhaiter. » Il toisa l’intéressée du regard et sourit doucement. Ils étaient au moins d’accord là-dessus, et à ses yeux, c’était une bonne chose. « Je me posais une question, peut-être trouverez-vous cela un peu déplacé de ma part, mais j'aimerais que vous m'accordiez une réponse sincère ». Rhapsody se redressa légèrement, intéressé subitement par l’idée qu’elle le questionne ainsi. Lentement et d’un petit signe de tête, il l’invita donc à poursuivre. « Est-ce une bonne meute ? Vous-y sentez-vous bien ? ».

Rhapsody, un peu curieux, pencha la tête sur le côté. Sa meute était-elle une bonne meute ? Qui aurait eu le courage et le culot de dire que sa meute n’était pas la meilleure en fin de compte ? Son visage se durcit, plus parce qu’il était agacé à l’idée qu’il puisse effectivement exister sur terre des loups qui ne soient pas satisfait de leur meute que parce que la louve avait eu la curiosité de lui poser la question. « J'ai toujours été seule et laisser mes enfants dans cette meute a été un des choix les plus durs de toute ma vie. Mon cœur voulait sans cesse les rejoindre dans cette nouvelle famille qu'ils avaient trouvé chez vous. Mais mon devoir me rappelait sans cesse au fin fond des terres de l'Ouest ». Immédiatement, Rhapsody sourit et son visage s’illumina. Allons bon, cela expliquait donc sa curiosité vis-à-vis de la meute. Elle s’inquiétait très probablement pour ses petits -bien qu’ils soient grands désormais. Il se racla la gorge et décida finalement de répondre ; « Je ne sais pas si les Kuragari sont les meilleurs loups au monde ». Il marqua une légère pause, le temps d’y réfléchir convenablement, puis finalement, toujours avec un sourire au coin des babines, il décida de reprendre ; « Je ne me souviens que de peu de mon existence avant la meute. Mais ses souvenirs sont tous négatifs et sombres. Or, depuis que j’ai rejoins les Kuragari, je suis heureux, j’ai des responsabilités et elles me conviennent très bien. »

Rhapsody hocha doucement la tête, comme pour approuver ses propos. Il aimait les siens plus que tout. Il était dans une famille soudée et sereine ou chaque membre avait sa place et son importance. « Il paraitrait que les Kuragari ont mauvaise réputation. Mais pour moi, il s’agit de ma famille et de mes amis. »