Le tête-à-tête avec la louve d'ébène de la veille ne s'était pas si bien passé finalement. C'était pourtant parti d'une bonne intention. Il avait dérapé, comme toujours, il fallait bien que ce soit lui qui faute une fois de plus. Encore un échec. Il voulait rester loin d'elle, il voulait s'éloigner, pour mieux retrouver la jeune louve. C'est donc pour cette raison qu'il avait passé sa nuit dehors, il n'était pas allé rejoindre sa panière comme d'habitude, bien qu'il n'était pas allé bien loin du territoire de la meute. Le jour ayant pointé le bout de son nez, il s'éloigna encore. La fuite était sa meilleure amie dernièrement.

Il était parti rejoindre son espace. Le seul endroit où il se savait en parfaite sécurité, le seul endroit où il ne se sentait pas épier par tout le monde. Le seul endroit où il pouvait vraiment être seul. Enfin, ça, c'est ce qu'il croit. Il avait laissé ses pattes lui dicter la direction qu'il allait prendre aujourd'hui, et c'était sans compter la petite boule de poil blanche qui était droit devant lui. Un congénère ? Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire là ? Dastan finit par prendre son courage à quatre pattes et s'approcha, il pouvait distinguer plus précisément la forme. Il s'agissait d'un jeune louveteau, qu'est-ce qu'il fabriquait ici, il était assis là, tout seul et semblait l'attendre. Il ne pouvait plus faire demi-tour.

« Qu'est-ce que tu fais là toute seule, petite ? »

Il imita rapidement la petite louve, s'asseyant devant elle fièrement, malgré ça, il était toujours sur ses gardes. Il n'avait certes, pas de raison de se montrer méfiant avec elle, mais sa mère pouvait très bien être dans les parages. Un petit de cet âge n'était que très rarement seul, la prudence était donc de mise.

Le loup d'ébène avait beau retourner la question dans tous les sens, il ne comprenait pas ce qu'une aussi petite bête pouvait bien faire seule dans le désert. Si un jour la vie le laissait devenir père, il était certain d'une chose, jamais ses petits ne divagueraient sans surveillance. Il laissa son esprit divaguer à la louve d'ébène qu'il avait abandonnée la veille. Qu'est-ce qui lui avait prit finalement ? Quelle mouche l'avait donc piqué ? Il n'en savait rien. Le loup était tourmenté, remplit de regrets et il n'était pas vraiment d'humeur à discuter et encore moins de se laisser marcher dessus par une petite dont il ne connaissait même pas l'identité.

« Tu sembles bien sûre de toi, petite. »

Sa voix avait sonné plus dur que celle qui lui est sienne habituellement. Lui qui ne laissait que rarement traîner ses émotions sur son visage semblait surpris qu'elle puisse lire en lui ainsi. Comment pouvait-elle savoir que quelque chose le tracassait. Le loup d'ébène finit par se relever, laissant son regard divaguer entre les dunes. Avec de la chance, il parviendrait à distinguer une autre forme lupine, avec de la chance, il aurait une idée d'où vient cette petite. Elle ne semblait pas perdue bien au contraire, elle semblait chez elle, mais ce qui lui paraissait bien étrange, c'était qu'elle soit seule. Lui qui connaissait cette large étendue comme sa poche, il n'avait jamais croisé le moindre loup dans le coin. Il lui fallait bien que ça lui arrive un jour.

La petite inclinait la tête, semblant plutôt sûre d'elle. Dastan ne comprenait pas comment une si petite chose pouvait arriver à le déchiffrer comme personne ne l'avait fait auparavant, pas même la jeune louve qui était pourtant proche de lui, n'arrivait à le comprendre.

Dastan cachait sa surprise, mais la petite semblait bien plus mature qu'un louveteau normal de cet âge. Où son insouciance avait bien pu se volatiliser ? Il en apprenait cependant plus sur son environnement, la mère de cette petite était cachée, elle devait surveiller sa progéniture, mais il n'en avait pas grande chose à faire, elle pouvait bien l'attaquer quand elle le voulait, il ne se laisserait pas marcher sur les pattes.  

« Tu ferais mieux de ne pas donner des idées pareilles à quelqu'un que tu ne connais pas. Tu penses que je suis si faible, que je pourrais me laisser tuer par ta mère ? »

Sa voix résonnait au fond de sa gorge, ses yeux brillaient, il était loin d'être un petit loup peureux lorsqu'on lui parlait de se battre. C'était son travail au sein de sa meute après tout. Alors un petit accro de plus ou de moins, qu'est-ce que ça pouvait bien changer ? Possiblement quelques touffes de poils en moins, quelques petites marques indélébiles de plus sur sa peau éventuellement, mais sa vie certainement pas.

Finalement, Dastan ne savait pas vraiment ce qu'il faisait ici, pourquoi s'était-il échappé de l'emprise de la douce louve noire pour se retrouver ici, tout aussi coincé, observé que ce qu'il avait pu être au campement. La petite l'intriguait. Il ne la comprenait pas. Il savait qu'elle épiait le moindre de ses mouvements, analysait la moindre de ses paroles, mais il ne comprenait pas. Comment une enfance pouvait-elle être volée à ce point ? Depuis quand un louveteau raisonnait-il ainsi ? Est-ce réellement ça la vie de solitaire ? Jamais il ne voudrait faire vivre ça à ses petits, si seulement un jour il devait en avoir.

Avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, la petite louve se leva, faisant le tour du loup d'ébène. Il ne savait plus comment réagir, il avait complètement perdu ses moyens. Heureusement que personne ne les observait, il se sentirait bien bête. Malgré tout, il garda son visage de façade, rien ne pouvait le trahir. Et lorsqu'elle retourne enfin à sa place, elle plisse les yeux pour l'observer encore. Il n'aurait jamais cru se faire épier de la sorte par cette boule de poils. Un silence malaisant planait autour des deux loups, il devait se ressaisir, ne pas se laisser aller. C'était la clef, ne pas montrer la moindre faiblesse. Comme toujours.

« Peut-être bien, un jour je pourrais éventuellement te répondre si nous nous recroisons, pour l'heure je ne connais pas ta maman, donc la réponse à cette question un mystère. Mais dis moi petite, tu dois bien avoir un nom, non ? Me ferais-tu l'honneur de me le donner ?  »

Complètement troublé par la toute petite louve, Dastan ne savait plus vraiment sur quel pied danser. Elle semblait si sûre d'elle, comme si elle avait été programmée pour être comme ça depuis sa naissance. Un instant, il se demanda comment pouvait bien être sa famille, est-ce qu'ils étaient tous comme elle ou bien y trouvait-on des petits normaux en admettons qu'elle ait des frères ou des sœurs. Étaient-ils tous aussi blancs qu'elle ? Il ne pouvait apercevoir personne de là où il se trouvait, pourtant, il savait que la tanière de la petite se trouvait non loin de là. Après tout, à son âge, on se retrouve rarement à des kilomètres de sa maison à la merci de la nature.

Dastan avait acquis une certaine résistance à la réflexion du soleil sur son pelage, et c'est ainsi qu'il se retrouvait à se demander si la petite la supportait aussi bien que lui. Il venait ici presque tous les jours depuis qu'il était en âge de vadrouiller, il pouvait s'y perdre des journées entières, ça ne l'affectait plus. Et il pouvait toujours avoir recours à son pouvoir, ce dernier devait sans doute l'aider. Mais ça n'a jamais eu une grande importance pour lui. La petite Xilven lui avait donné son nom sans une once d'hésitation. Le regard de la petite blanche ne le lâchait pas, complètement figé. Il ne savait plus vraiment sur quelle patte danser avant de se souvenir que la jeune louve lui avait retourné sa question. Il devait faire preuve de politesse.

« Je m'appelle Dastan.  »

Le loup d’ébène avait à présent dévoilé son identité, il n’avait pas vraiment de problème vis-à-vis de ça, après tout ce n’était que le nom que ses parents lui avaient donné à sa naissance. Ça ne lui faisait ni chaud, ni froid. Un petit sourire parcouru rapidement la frimousse de la blanche, puis un soupire. Il n’arrivait décidément pas à la comprendre. Pourquoi agissait-elle ainsi ? Pourquoi devrait-il vouloir la tuer ? Il était loin d’être l’être le plus sanguinaire qui régnait sur ces terres.

Tout allait, jusqu’à ce qu’elle use de son pouvoir, elle n’aurait pas dû. À cet âge, tenir debout aussi longtemps était déjà un exploit, mais puiser dans ses ressources à ce point était loin d’être la meilleure idée. Dastan était loin d’être impressionné, il savait très bien qu’il avait la fuite à portée de pattes. C’est lorsque le corps de la petite louve tomba sur le sol qu’il commença à s’inquiéter. Elle était à bout de forces. Le loup d’ébène se leva alors pour se poser juste à côté d’elle, sans pour autant la toucher pour lui faire le plus d’ombre possible. La laissant ainsi reprendre ses esprits tout doucement. La sentinelle était loin d’être à l’aise, pourtant, il ne souhaitait pas se mettre à dos les parents de la jeune louve blanche en la laissant ici pour morte. Xilven tentait tant bien que mal de se relever, pourtant, elle n’y arrivait pas. Un petit sourire amusé passa sur le visage du loup d’ébène.

« Doucement petite, n’essaie pas d’aller plus vite que la musique. »