Je marchais tranquillement dans la meute, je humais l’air doucement, le laissant pénétrer dans mes poumons. La matinée était douce, je faisais le tour de la frontière, observant, guettant le moindre mouvement. J’étais concentré dans ma tâche, bientôt, je deviendrais une véritable Delta, bientôt, je serais l’égale des autres canidés. J’avais travaillé dur, et encore plus après la mort de ma sœur. Je voulais qu’elle soit fière de moi, je voulais être la meilleure des sentinelles. Mon corps déambulait entres les brindilles, mes pattes écrasaient les insectes qui couraient dans tous les sens. Ma posture était droite, je faisais attention à tout ce qui m’entourais, au moindre son qui provenait de l’extérieur. Je me demandais si je pouvais continuer à explorer le monde après mon passage à Delta. J’aimais me sentir libre et avoir la sécurité de ma meute, mais peut-être que tout ceci devra prendre fin un jour. Je ne pouvais savoir mon avenir, mais j’étais prête à tout pour réaliser mon rêve.

Sentant une présence derrière moi, je bougeais mes oreilles, laissant l’odeur de l’individu entrer dans mes narines. L’odeur de ma meute faisait surface, je pris un air doux et affectueux, tournant la tête pour voir celui qui se dirigeait vers les frontières. Une jeune louve approchait, une femelle blanche comme moi s’avançait doucement de la frontière. La boule de poil semblait légèrement loin de là où elle devrait être. Je souriais devant la jeune femelle, moi aussi, j’aimais me promener, découvrir ce qui m’entourait. Je comprenais enfin ce que ressentaient les adultes, quand ils me disaient de rester près d’eux.

« Que fais-tu ici ? »

Je lui parlais doucement, et m’assoyais sur l’herbe. Mon corps se détendait, laissant toute ma gentillesse faire surface.

J’écoutais ce que me disait la jeune louve, elle se coucha sur l’herbe en voulant savoir ce que je faisais à mon tour. Je souriais tendrement, j’étais bien plus active qu’elle à son âge, mais tout le monde était différent. Je ne cessais de l’observer avec attention, voulant scruter son corps. Assise, sans bouger, je léchais mes babines, regardant légèrement en arrière, je regardais la frontière qui était juste à quelques centimètres de nous.

« Je veille à ce que personne ne pénètre sur nos terres. Tu ne devrais pas rester ici toute seule, on ne sait jamais ce qui peut arriver. »

J’étais devenue bien plus mature que je ne le pensais pas, je voulais protéger les mines, être une excellente sentinelle et j’avais l'espoir de remplacer ma grande sœur qui était morte il y a plusieurs mois de cela. Elle était une veilleuse exceptionnelle, respectée de tous, je voulais être comme elle, voir le visage de ma mère s’illuminer devant mes efforts et ce que j’avais accomplis par la force de ma volonté. Je reposais mon regard sur la jeune louve blanche. Mes oreilles bougeaient dans tous les sens, écoutant chaque bruit pouvant provenir en dehors de notre territoire. Je n’avais pas le droit à l’erreur. Je me souvenais parfaitement, j’avais son âge quand j’avais tué le premier loup qui avait pénétré sur nos terres. Je me souviens de son regard, de chaque morsure que j’avais subi, je me souvenais parfaitement de cette nuit, cette nuit où j’étais devenue un démon…

Mon regard se perdait dans un vide inexplicable, comme si mon esprit entrait en transe avec mon passé pour me remontrer chaque image de mes actes. Encore, maintenant, je ne me reconnaissais pas. Je l’avais entendu, ma véritable voix qui m’avait dit que jamais je n’aurais dû être ainsi, gentille, douce. Mais si j’avais changé, si j’étais devenue celle d’aujourd’hui, c’était à cause, ou grâce à mes crocs qui n’existaient pas à ma naissance. Je ne savais pas vraiment comment l’interpréter, mais je préférais ne pas y penser.