Délicatement, ses pupilles grises pâles s’ouvrirent sur le monde. Il avait encore mal dormi cette nuit-là. La Nature n’avait eu de cesse de lui parler, de lui ordonner des mots qu’il refusait d’entendre, mais surtout elle ne cessait de lui hurler le nom de cette louve. Le loup au pelage gris d’argent et de neige se releva alors, secouant sa grosse tête de mâle et remua une de ses oreilles légèrement arrondies. Il en avait marre de l’entendre, marre de devoir la supporter depuis sa naissance. Pourquoi l’avait-elle choisi ? Pourquoi l’avait-elle envahi sans même demander la permission ? Sa queue blanche et grise remua dans l’air, de colère et il prit le pas. Il fallait qu’il s’en aille de là, qu’il réfléchisse, mais surtout qu’il ne l’entende plus. Sa grande silhouette sortit de la grotte, tandis que son corps fin se faufila dans une brèche. Qu’il ne l’entende plus. Un regard vers le ciel et il hocha la tête. Une odeur de placenta, encore une fois. Encore une fois il faudrait qu’il assiste à une naissance, il en avait marre. Vraiment. Avec un soupir, il marcha alors vers l’odeur, sachant parfaitement ce qu’il avait à faire.
Au tout début de sa création, ce loup gris était un loup lambda. Il avait un caractère parfaitement neutre, comme si il n’existait pas. La gentillesse était en lui, malheureusement il ne put en faire profiter toute sa famille. La bonté aussi, malheureusement la Nature le lui a enlevé au moment même où sa mère crachait ses entrailles devant lui. Elle l’avait brisé la Nature. Elle l’avait anéanti comme elle pouvait le faire avec tout ce qu’elle créait. Mais surtout, elle l’avait façonné à son image, comme un marionnettiste pouvait le faire avec ses pantins. Il faisait ce qu’elle voulait sans broncher. Il n’avait même plus de sentiments en fait, ou tout du moins il tentait de les cacher en fuyant le contact. L’empathie ? Il est obligé d’en avoir pour les êtres qu’il accompagne ou bénit. En fait, il n’est rien d’autre qu’une machine. Un hôte sans âme qui ne cesse de suivre les paroles d’une diseuse d’aventure. Il n’est même pas sûr que tout cela soit réel, il se pose parfois la question s’il est fou ou bien damné. En fait, il n’est qu’une ombre. Une ombre qui tente de fuir quiconque l’approchera. Non pas car il a peur du contact, mais tout simplement car il a peur des représailles de la Nature s’il s’attache.
Un regard en arrière et le loup disparu en courant dans la forêt. Comment avait-il pu connaître une telle erreur ? Comment avait-il pu oser blasphémer sa mission ainsi ? Comment avait-il pu se laisser ainsi aller ? Il savait pourtant ce qu’il risquait, il savait pourtant ce qui arriverait. Et pourtant il avait laissé cette louve venir s’immiscer dans son esprit ainsi que son coeur. Il l’avait laissé dompter ses pensées sans réellement comprendre comment elle avait fait. Ils n’avaient pourtant fait que parler. Pendant plusieurs jours. Et pendant ces journées, elle lui avait conté des histoires qu’il n’avait jamais entendu, elle lui avait parlé de son rang, mais aussi de sa vie actuelle. Une meute, elle vivait en meute depuis sa tendre enfance. Aussi tendre qu’elle-même. D’une douceur dont il n’aurait jamais cru une louve digne. Mais pourquoi la Nature l’avait-elle autorisé une telle conversation ? Pourquoi l’avait-elle autorisé à connaître une si belle personne ? Est-ce un test ? Voulait-elle savoir à quel point son pion était loyal envers elle ? Il n’avait pas le choix pourtant, elle devrait le savoir. Depuis sa naissance, il était lié à elle. Elle lui avait tout enlevé depuis sa naissance, que ce soient ses parents ou ses frères et sœurs. Il n’avait même pas comprit pourquoi.Le loup gris se rappelait parfaitement sa naissance. Du moins ce que la Nature acceptait de lui envoyer dans l’esprit. Il revoyait sa mère couchée sur le sol, poussant, et ses frères et sœurs naissant. Lui, il était le premier de la portée. Il avait prit la bouffée d’air en premier. Délicatement, il s’était levé. Il avait aimé sa famille dés le premier jour. C’est sans doute pour cela que tout était arrivé. Ses frères et sœurs étaient vite tombé(e)s malades, en premiers. Ils avaient de la fièvre, les yeux collés et mal au ventre. Ils moururent les uns après les autres, devant lui, sans qu’il ne sache que faire. Il ne faisait que les observer, pleurant et hochant la tête à chaque mort, comme si c’était sa destinée. Puis ce fut au tour de sa mère … Elle tomba malade, elle aussi. Mais encore plus brutalement. Elle vomit du sang, elle ne peut plus manger et bientôt elle s’amaigrit. Elle ne peut plus s’occuper de lui. Mais heureusement pour lui, la Nature a laissé la chance à sa mère de pouvoir le sevrer. Elle mourut devant ses yeux, comme ses frères et sœurs. Il hocha la tête et en pleurant, disparut dans la montagne. Pourquoi tout cela lui arrive ? Pourquoi lui infligeait-on cela ? Lui, bébé, ne comprenait réellement pas. Il ne comprenait pas pourquoi on le faisait souffrir autant. Alors, comprenant que tout cela est de sa faute, il se cacha rapidement dans une grotte, pleurant et refusant de manger. Il voulait mourir. Il voulait les rejoindre. Rapidement, il s’endormit.Les jours se suivirent et se ressemblaient. Il ne cessait de vivre seul, s’étant parfaitement caché pour qu’aucun loup ne le distingue. Il était beaucoup mieux seul. Une voix dans sa tête ne cessait de le suivre, où qu’il aille, lui faisant comprendre qu’il devait être présent auprès de chaque animal naissant ou mourant. Il ne comprenait pas pourquoi ni comment, mais à chaque fois qu’il refusait, des branches lui tombaient dessus ou bien des ronces lui griffaient les flancs au point qu’il en pleure. La Nature. C’était elle dans sa tête. Elle l’avait arraché à sa famille pour l’enchaîner à elle. Il n’avait plus le choix dorénavant. Alors, il acceptait son sort. De toute façon, il préférait obéir qu’on lui brise une patte ou pire encore. Il avait essayé de chasser une fois … Je ne vous explique même pas. Il avait tué le lapin, mais quelques minutes plus tard des douleurs atroces le prirent au niveau des entrailles, comme si on lui arrachait le coeur. Il hurlait, mais personne ne l’entendait. Alors, il comprit. Il s’éloigna du lapin en hochant la tête et les douleur cessèrent. La Nature refusait qu’il tue. Pour se nourrir, il devrait attendre qu’un animal meurt. Alors oui, il acceptait. Il n’avait pas le choix de toute façon. Elle le contrôle comme une vraie marionnette. Il devait accompagner les êtres de cette Terre en naissance ou mort, mais il ne devait pas les aider ou interférer, voilà ce qu’elle voulait lui faire comprendre. En douleur, certes. Mais quand on ne peut parler, on ne fait qu’ainsi.Ce n’étaient plus des jours qui se suivaient mais des années dorénavant. De six mois, il était passé à quatre ans. Il s’était vu grandir. Il s’était vu manger des carcasses, car il n’avait pas le choix. Mais maintenant, la voix était bien plus douce. Elle lui faisait sentir des odeurs plus qu’elle ne parlait. Comme si elle lui offrait un sixième sens qu’il n’avait pas. Il sentait le sang, le placenta, la mort … Il sentait toutes sortes d’odeurs qui lui faisait comprendre tellement de choses. Il accompagnait tous les animaux, avec toujours cette même conviction et surtout cette douleur constante. A chaque mort, il avait l’impression qu’une partie de son âme s’envolait en même temps que celle du décédé. Tandis que durant une naissance, il avait l’impression de sentir la joie de la mère, comme si il était réellement à sa place. Et bizarrement, aucun animal n’avait peur de lui, qu’ils soient prédateurs ou proies. Peut-être le voyaient-ils autrement qu’en loup ? Il ne savait pas, puisque lui se voyait en tant que loup dans chaque flaque qu’il croisait. Quatre ans … Ce fut la première année où il croisa cette magnifique louve. Il ne citera jamais son nom, de peur qu’elle disparaisse de sa mémoire. Ils se sont croisés au détour d’un chemin. Et bien rapidement, un lien se créa, au détriment de la voix dans sa tête.La voix ne cessait de disparaître au fil des deux ans qui s’écoulait et au fil des discutions qu’ils pouvaient avoir. Il ne comprenait pas pourquoi il ne sentait plus d’odeur, ni même n’entendait de voix. Peut-être que la Nature lui offrait-elle une chance d’être libre ? Alors, il la saisit sans même se poser de questions. Il laissa son coeur s’abandonner à la louve, il laissa le contact se faire. Elle lui parla d’une meute, elle lui parla de ces terres. Ryûtora qu’elle disait. Elle disait aussi appartenir au Kuragari. Elle le suppliait chaque soir de les rejoindre, mais il refusait. Non pas qu’il ne veuille rejoindre une telle famille, mais il aurait bien trop peur que la Nature se venge. Et un jour, il se passa quelque chose que la Nature n’accepta pas. Les deux loups s’unirent. La louve commença à grossir, ses yeux devinrent bientôt beaucoup plus tendres. Elle était enceinte. De lui. Alors, la Nature refusa cette union. Elle se mit à lui hurler une litanie de mots dont le sens ne lui venait pas. Elle se mit à le faire souffrir chaque nuit, à lui briser les os mentalement sans que rien ne soit réel, et à lui faire voir des images qu’il ne comprit que trop tard. Alors non, il ne resterait pas auprès de celle qu’il aimait. Il était hors de question qu’il offre ces petits à la potence. Il se releva rapidement, ne prononça aucun mot et disparut dans l’obscurité. Elle devait survivre, ils devaient survivre pour que son nom survive.
PUF : WinterflowsÂge : 26 ansAutre : Merci Maman Venez-vous de Raja'ah ? : Non