Ce matin, je me suis réveillé tôt. Tôt par rapport à d'habitude. D'habitude, maman est déjà levée, mais là, elle dort encore, tout comme Xil et Requi. Papa n'est pas là par contre.

Je me lève, sors de la tanière. Le ciel n'est pas encore lumineux, il est encore de ce noir terne que donne la nuit, avec sa multitude de points blancs -les étoiles. Je me demande s'il y a des loups sur ces étoiles. Maman et papa nous ont dit qu'il existait des meutes de loups loin d'ici, à plusieurs jours de marche, mais qu'il ne fallait pas s'en approcher. Je ne comprends pas pourquoi il faut que je me tienne à l'écart de cette réserve de chair. C'est cruel de la part de mes parents. Mais quand je serais plus grand, encore plus grand que maintenant, je leur dirai que j'irai là bas. Ils ne pourront pas m'en empêcher.

Je regarde de chaque côté. Le matin tôt comme ça, les bêtes sont encore de sortie. Il fait encore froid, c'est toujours saisissant, notre corps se rappelle de la journée brûlante, et là, nuit glaciale. Toujours étrange.

Je lève le museau, décide de sortir. Il doit bien y avoir quelques âmes à faucher. Peut-être vais-je trouver une bête assez imposante pour que je puisse m'amuser ?

J'avance jusqu'à l'étendue d'eau, jusqu'au lac. Je continue encore, la berge passée. Maman nous a appris à nager, à tous les trois. Je nage mieux que Xil. Je plonge d'abord le bout de mes pattes avants, puis je m'enfonce plus loin. Le sol sablonneux s'enroule en fine fumée autour de mes griffes. L'eau est à mes flancs. Je penche la tête, pour laper longuement. Le liquide coule dans ma gorge sans me donner la moindre excitation, le moindre plaisir. Mon corps demande du sang.

Je fais volte face, puis sors à pas lents.

J'avance hors de l'eau, sors une patte après l'autre. Le liquide pâle s'écoule de ma fourrure légèrement imperméable. La faute à tout ce temps passé dans le lac. Et aux poissons aussi. M'enfin. Au moins j'ai pas froid.

Je bouge lentement jusqu'à la limite de notre oasis. La terre douce laisse place au sable chaud qui coule entre les griffes. Un instant, je reste là, assis, immobile sous le soleil levant. La puissante lumière blanche allume la vie qui m'entoure. J'inspire profondément, inspire cette vie pour la prendre. Aujourd'hui, je dois tuer.

Je fais deux bonds en avant. Au troisième, je plonge mes pattes dans le sable. Elles butent contre un corps presque mou qui tente de glisser. A force de petits mouvements, j'arrive à planter mes griffes dans la peau écailleuse et la tire vers moi. Le serpent se débat. Sa tête bat à gauche, à droite, dans l'espoir de me toucher. Un sourire narquois vient se dessiner sur mon visage. Cette vipère des sables sera à moi. Mais avant je vais jouer un peu.

Je la lâche légèrement, la laisse glisser plus loin. Sa tête passe dans le sable blanc. Je la laisse un peu filer avant d'abattre ma patte sur sa queue. Je la retire en arrière. Une sur sa gorge pour empêcher les crochets de m'atteindre, d'une griffe de l'autre, je fend la peau. Mais pas assez pour tuer le serpent, non, juste pour la faire se tortiller. La faire souffrir un peu. Le sang des reptiles est étranges, très différents de celui qui coule dans les veines de maman, ou de Requi. Très très différent du mien.

Elle convulse un peu. Mais ce n'est pas drôle. Une petite moue vient troubler ma joie. Rien ne doit troubler ma choix. D'un mouvement vif, j'enfonce mes crocs dans le cou de l'animal. Devant son corps immobile, je soupire.

C'était nul comme jouet.

Moue aux lèvres, j'examine ma prise. Un serpent. Leur goût n'est pas fabuleux, mais très étrange, et c'est bien pour ça que je les aime bien. Ils ne ressemblent à rien. Une longue queue presque lisse, toute écaillée. Mon serpent est presque blanc foncé comme le sable, mais un ton au dessus. Il se détache à peine, c'est pour ça que je sais que c'est un serpent des sables. En plus de sa manie à se déplacer sous une dizaine de centimètres de ce sable.

C'est toujours amusant à attraper comme bête, ça file, ça glisse. C'est dangereux - enfin, il paraît.

Un mouvement me fait dresser l'oreille. Il y a un animal, une autre future proie, un autre futur jouet. J'espère qu'il sera mieux que l'autre, il s'est cassé trop vite. Je me tasse sur moi même et cherche l'origine du son. C'est un beau chinchilla à peine plus foncé que le sable. Un chinchilla, pleine de ce sang noir de vie. Miam.

J'avance tout doucement, à pas doux comme le poil d'un jeune louveteau. L'animal grignote quelque chose, une rare graine je suppose. Elle a dû être portée par le vent jusqu'ici depuis notre oasis. Le chinchilla, tout occupé à sa besogne, ne me voit ni ne m'entends arriver. En un bond, me voilà sur lui. Sa toute petite gueule pousse des cris mais ce n'est pas ça qui va me faire reculer. Au contraire, ça m'émoustille. Les yeux brillants de désir de sang, je penche mes crocs vers son flanc tendre. Mais je ne mords pas. A la place, j'avance ma patte avant, la droite, et glisse le bout d'un griffe de sa gorge fragile à la fin de son abdomen. Le chinchilla s'époumone et que c'est bon ! Le sang suinte légèrement de la longue plaie. Mais je n'ai pas assez appuyé pour la tuer. Je dois faire durer le plaisir, mais que c'est fragile, une petite bête comme ça !

Patte sur son ventre, je m'assois et penche légèrement la tête sur le côté. Je me demande comment je vais procéder. Le cou ? Non, trop rapide. OH ! Je sais ! Avec des gestes lents -je me retiens d'aller trop rapidement, pour faire durer le plaisir- je pose le bout de mes crocs contre la cuisse droite de mon jouet. Il bouge tellement qu'il commence à se blesser tout seul. Ce n'est pas drôle s'il me facilite le jeu comme ça ! Pris d'une fureur soudaine, je tranche la fémorale d'un coup sec. Le liquide chaud et noir se répand sur le sable qui s'assombrit.

Mouais, pas fantastique non plus ce jouet.

Je regarde un moment cette coquille vide, ce jouet maintenant inutile. La sable est tout sombre autour, une auréole de vie maintenant échappée. Je lèche délicatement le sang sur mes babines, puis penche la gueule vers mes pattes. C'et si bon... Quand je relève la tête, je vois la queue d'un serpent disparaître sous le sable. Pff, j'aurais bien aimé un autre joujou.

Je retourne chercher la dépouille de ma première proie et la ramène à l'oasis avec le chinchilla. Il fait chaud. C'est bon, il fait chaud. Très chaud. J'avance dans le lac, une nouvelle fois. Je dois rafraîchir mon sang ou je vais bouillir de l'intérieur. La douleur doit être jouissante, mais je ne pourrais la vivre qu'une seule fois. Alors je préfère l'éviter. Je plonge la tête sous l'eau. De ma gueule s'échappe des bulles d'air chaud. Je reste ainsi au maximum de mes capacités puis je ressors dans un grand saut et prends un large inspiration. L'air vient caresser avec une douleur excise mes poumons en feu.

D'étranges algues viennent serrer mes pattes. Je les approche de mon museau pour les sentir, mais bon, ça pue. C'est loin de la belle odeur du sang frais. Plus loin, je vois les bulles d'un poisson. ET près de moi, un autre qui saute. Habituellement, je ne suis pas fan des poissons, les torturer est trop simple, il suffit de les laisser à l'air libre et de les regarder s'étouffer avec de l'air. Mais ce n'est pas drôle. Ce sont de mauvais jouets. Aujourd'hui est comme habituellement. Je n'aime pas. Mais bon, je pourrais essayer de les décortiquer sous l'eau. Peut-être qu'ils tiendraient plus longtemps.

Je sens un poisson me frôler. Je réprime un sourire. Cette bête ne sait pas à quel point c'est dangereux d'être aussi prèes de moi. Mais je n'essaie pas de l'attraper. Pas encore. Je préfère regarder les évolutions des bêtes écaillées. Pour le moment. Elles dansent presque. Ma langue vient caresser mes babines à l'idée de leurs mouvements dans une eau rougie de leur sang. Quel spectacle incroyablement salivant !

Puis soudain les poissons s'écartent de moi. Un mouvement brusque unanime. Peut-être que l'excitation a fait monter la température de mon sang jusqu'à ce que mon corps irradie et fasse fuir les petites bêtes ? Je sais pas. Mais en tout cas c'est dommage. Je prends quelques secondes à me demander si j'ai envie de poursuivre les poissons ou pas. Peut-être. La chasse sous l'eau ça doit être rigolo. Tout est plus dur à faire sous l'eau, ça tire plus sur les muscles, ça fait plus de courbatures, et les courbatures c'est trop cool. Déjà parce que ça fait mal. Et ensuite parce que les courbatures c'est des muscles qui se forment et se raffermissent, donc c'est cool. En plus, y'a les poumons qui veulent exploser à chaque fois.

Bon, bah le choix est vite fait. Les poissons sont partis loin déjà. Je prends une grande inspiration et plonge à leur suite. Ouaaaaais ! L'eau se referme au dessus de ma tête. Mes yeux voient flou. Je suis guidé par les éclats argentés que provoquent les mouvements des poissons. Plus je plonge profond, plus la pression vient pousser sur mon crâne. Mes yeux ont de plus en plus mal. J'ai même l'impression qu'ils vont s'enfoncer dans ma tête. Quelle sensation... exaltante ! J'adore. Je devrais chasser sous l'eau plus souvent. Ca fait plus mal.

Quand mon souffle commence à dater un peu, je fais un mouvement brusque en avant, attrape l'un de ces poissons que je taquinais sans vraiment les attaquer, et remonte d'un coup de patte sur le sol sablonneux. La montée est fulgurante. La pression plus faible fait éclater mes tympans. Ca fait mal. C'est rigolo. Je nage jusqu'à une zone où je peux marcher. Là, je reprends une respiration sifflante, le bien être envahissant chaque cellule de mon corps. Je regarde ma nouvelle proie. Ses belles écailles brillent toujours, mais ses yeux n'ont plus d'éclat. Dommage. Le sang s'écoule des petits points qu'ont formé mes crocs. Ce liquide noir qui se répand dans la liqueur du lac. C'est rigolo.

Le liquide sombre vient flotter entre mes poils, se coller à ma peau. La sensation est étrange, je sens que ce n'est pas de l'eau. Trop bizarre. Le poisson flotte sur le dos, les petits trous laissant couler encore un peu de sang. Mais plus trop trop. Les plaies datent déjà un peu trop, même si c'était il y a quelques minutes seulement. C'est pour ça que le sang est si précieux. Il se raréfie trop vite.

Je sors de l'eau, le poisson dans la gueule. Un petite peu de sang coule sur mon poitrail mais ça ne m'embête pas. Quand je me lécherai, j'aurais encore le goût, c'est cool ça. L'eau ruisselle sur mes poils, et le sable colle à mes pattes. J'avance jusqu'à un coin d'ombre. C'est l'heure de manger maintenant. Et le poisson n'est bon que frais, de toute manière. Alors je plonge mes crocs dans sa chair pâle et le dévore de bon appétit.