Maman elle est gentille. Winnie aussi. Pati aussi. Papa aussi il est gentil. Mais ils font tous dodo là. Maman elle est très fatiguée, elle dit que c'est nous qu'on la fatigue. Pourtant, quand on joue on va dehors, on s'éloigne, comme ça maman elle nous voit pas, et on peut pas l'embêter. Mais maman elle dit que justement ça l'inquiète de ne plus nous voir, parce que maman elle nous aime, du coup elle a peur qu'on se fasse bobo et qu'elle ne le sache pas.

C'est bizarre les grands.

Mais moi j'aime pas rester enfermée. C'est nul d'être enfermé. Moi j'aime pas. Les autres ça les embêtent pas mais moi j'aime pas.

Maman elle fait toujours dodo, et elle autres aussi, alors je me lève et je traverse la tanière en marchant tout doucement, sans faire de bruit. Je suis fière de moi, j'ai réussi à réveiller personne. Je veux pas réveiller maman, papa dit qu'elle doit faire dodo, et puis sinon elle va m'empêcher de sortir et je veux pas rester ici. Alors que là, elle fait toujours dodo, et à moi l'aventure !

Je sors le bout de mon nez. Y'a personne dehors. Il fait super froid ! Je les comprends les autres, là il fait vraiment trop froid pour rester dehors. Mais bon, je veux pas rester enfermée. Je pose une patte dehors. Argh, c'est gelé. Toujours personne. J'avance pas à pas, et puis je me mets à courir. Le centre du territoire, c'est là que je vis. Les grands disent que c'est petit, mais pour moi c'est genre trop trop grand !

Alors que je cours, que je saute pour me réchauffer, je rentre dans un loup.

- Tu peux pas faire plus attention ?!

Ça m'excède ! Alors que je lève le regard, je tombe sur un louveteau plus grand que moi. Il doit avoir au moins 2 mois ! Il est grand, plus grand que moi, maman dit que nous les petits ont grandi vite, mais lui il est super grand !

- Je te ferais remarquer que c'est toi qui viens de me rentrer dedans !

Il se retourne. Il est encore plus impressionnant que de dos. Le grand petit retrousse ses lèvres. Ca fait un peu peur ça, mais bon, je veux pas montrer que j'ai peur. En plus, c'est pas de la peur, j'ai juste un peu de euh... inquiétude. Mais pas de la peur hein ! Ses oreilles disparaissent sur son crâne, je suis plus petite que lui, du coup je peux pas les voir, parce que je vois pas le dessus de sa tête. Et du coup ses oreilles disparaissent, ça lui fait une tête toute bizarre.

Il recule un peu, se redresse. Il boite. Il s'est fait un bobo ? Mais alors pourquoi il est pas chez un guérisseur ? Maman elle dit qu'on doit aller chez le guérisseur quand on se fait un bobo.

- Et puis d'abord qui es-tu pour me parler comme ça ?

Son ton gratte comme de l'écorce, il crache comme un chat sauvage. Ca fait pas peur, c'est rigolo plutôt.

Un petit sourire se dessine sur ma face, je ris toujours de tout moi. C'est pas drôle la tristesse. Je regarde toujours les trucs beaux, j'aime pas les trucs moches. Triste, moche, joyeux, beau. C'est simple, hein ?

Je m’assois fièrement sur mon derrière, je glisse ma queue autour de mes pattes. Je me tiens bien droite, je suis fière de moi, de mon rôle, de celui de maman et de papa.

- Je suis Yrkasi, fille de la grande Alpha Wistala. Tu sais que ta tête est vraiment bizarre quand on enlève les oreilles ? Et puis toi t'es qui ? Je te signale que c'est toi qui me parle mal.

Je cligne des yeux, une fois, deux fois, et puis j'attends.

Il a un air interloqué l'autre. Il attend avant de me répondre enfin :

- Je m'appelle Alakey, m'dame la fille de l'alpha.

Son ton est moqueur et les poils de ma nuque se dressent. On ne se moque pas de moi.

- Désolé que ma tête ne te convienne pas, mais moi aussi j'ai une question. Que fais-tu dehors à cette heure ?

Il me regarde avec curiosité. J'aime pas. Je suis pas une curiosité moi ! Je frappe la terre de ma patte. Une flamme sort, lèche ma patte, remonte jusqu'au coude et s'éteint. Je vois avec ravissement l'autre reculer, les yeux écarquillés de frayeur. J'ai un petit rire satisfait.

- Oh ! Tu ne savais donc pas ? La fille de l'alpha est dangereuse...

Je lève la patte, étire mes griffes, les examine. Les poils autour virent au roux lumineux. C'est beau. J'aime bien l'idée. Je relève la tête, étire le cou et le regarde.

- T'en dis quoi, Keya ?

- C'est tout ce que tu sais faire ? C'est pas fou tout ça.

Maman dit que je suis souvent aussi vexée qu'un pou, mais je vois pas le lien. Et puis je suis pas vexée. Même si c'est vrai que c'est pas ouf, je fais même pas exprès, même si je fais semblant. J'aime pas énormément. Le jeu, c'est instinctif, les loups aiment pas. Bah moi non plus, j'adore pas ça, mais j'ai pas le choix, c'est moi. Quand je marche, les flammes viennent me lécher, me caressent doucement, m’envoûtent et je n'y peux rien.

Le louveteau vient poser le menton sur mon crâne et le tapote d'un air condescendant. Après, il me regarde de haut.

- Si tu m’appelle Keya, je t’appellerai Kasi. Parce que tu es quasiment aussi grande que moi

Je fulmine un peu, c'est vrai quoi, je suis petite, je sais, mais et alors ? Moi je suis plus jeune déjà, et puis de toute façon moi plus tard je serais Alpha et lui il sera en dessous de moi, même si maintenant il est plus grand. Je tire la langue.

- C'est ton choix Keya. Mais je soutiens : toi tu aurais dû faire gaffe. Et puis, qu'est-ce que tu fais loin de ta tanière ? T'as perdu ta maman ?

Je penche la tête sur le côté. Peut-être qu'il est comme moi. Qu'il en a marre d'être toujours enfermé. C'est vrai, il fait froid, mais bon, il fait trop chaud à l'intérieur. Et y'a pas d'entre deux. Alors autant être dehors avec le froid mais où on peut courir.

Je m'y attendais pas. Il réagit au quart de tour.

- Si j'ai une mère ! Et elle m'aime ! Je l'ai pas perdu c'est elle qui m'a laissé ici avec Zaliha mais elle vient me voir ! Je fais partie de la meute comme vous tous ici !

Je recule d'un pas face à ses crocs. Ses oreilles sur sa tête, ça fait bizarre. En vrai j'ai pas peur, hein, mais il m'a surprise. Il semble s'en rendre compte Keya, et il se calme un peu.

- Excuse- moi, j'aime pas parler de ma mère ...

Je m’assois à nouveau et l'observe avec curiosité. C'est bizarre. Sa maman l'a laissé ici tout seul ? Moi, maman ne veut même pas que je sorte de la tanière ! Alors qu'elle me laisse seule... Trop bizarre. Mais après tout, Keya est plus grand que moi. Il est plus grand que Winnie aussi, alors que Winnie il est plus grand que moi.

- C'est qui Zaliha ?

Un petit serrement se met dans ma poitrine. C'est pas de la jalousie, je le connais à peine Keya, mais quand même. Avec un nom pareil, c'est forcément une fille. Sa soeur ? Ou alors c'est une amie ? Moi j'ai pas d'amis, à part Winnie et Pati, mais c'est pas pareil, parce que c'est mon frère et ma soeur. En fait, Keya c'est mon ami ou pas ? Parce que c'est bizarre. Il est gentil, et puis après il dresse les poils, et puis il est gentil. Moi je l'aime bien. Il est bizarre, mais moi aussi, avec mes pattes de feu, alors pourquoi il pourrait pas être mon ami à moi ?

Pour me répondre, il est calme cette fois :

- Zaliha est ma soeur mais elle n'est pas comme moi, elle est faible. Notre mère est une solitaire et elle nous a laissés à cette meute. Elle vient nous voir de temps en temps. C'est tout ce que tu dois savoir.

Elle est faible. Je me sens un peu gênée, c'est vrai que moi je suis super forte, et plus forte que tout le monde, et bon quand même, j'adore mon frère et ma soeur, même s'ils sont "faibles" comme il dit. Par contre, sa maman elle est bizarre. Ma maman elle veut même pas qu'on se ballade entre deux tanières, et la maman de Keya, elle les laisse tout seul, sa soeur et lui ! J'y ai déjà réflechi, y'a cinq minutes, mais j'en reviens toujours pas.

- Kasi, tu veux devenir Alpha quand tu seras plus grande ? Que fais-tu de ton frère et de ta soeur ?

La question piège. Enfin pas piège, parce que je sais ce que je veux, mais maman m'a dit que c'était pas bien de se vanter. Alors je reste prudente mdr mais bien sûr :

- Bien sûr que je serai Alpha ! Je serai guerrière, la meilleure de tous, puis Cheffe de guerre, et après je deviendrai Alpha, la meilleure du monde ! Winnie et Pati ils sont "faibles" comme tu dis. Ils veulent pas soumettre les autres, moi j'aime bien être puissante. Alors je serai meilleure Alpha qu'eux, et donc c'est moi qui le serais, parce que les Kuragari ont le droit au meilleur !

Je fulmine un petit peu, bon beaucoup. Et puis je tape le sol de ma patte et me mets debout d'un bond. C'est l'énergie qui me parcourt. J'ai tout chaud quand je suis en colère, mais là je sais même pas pourquoi je suis en colère. Ah si ! C'est parce que il dit que je serais pas Alpha l'autre. Mais de toute façon, un jour, je serrai, Alpha, et pas lui, alors je serai au dessus de lui il devra m'obéir et on verra bien s'il rira ce jour là !

Un sourire narquois s’étire sur la face de Keya :

- En tout cas, si un jour j'ai un Alpha aussi minus: j'le bouffe. Car comme tu l'as dit les Kuragari ont le droit au meilleur et le meilleur c'est moi.

Lentement, je saisis tout le sens de la phrase. Qu’il est mignon, à chercher le rôle d’Alpha. Je compatis un peu. Après tout, c’est un peu par hasard que je suis née du ventre de Wistala, l’Alpha Kuragari. Ou par destin. Si ça se trouve, c’est les esprits qui ont décidé que j’aurais maman pour maman, parce que je suis destinée à devenir Alpha. Mais en tout cas le fait est.

- Ne crois pas que tu sois la seule à vouloir ce poste.

Je m’en veux presque de détruire ses illusions. Après tout, avoir un concurant digne de ce nom aurait été sympa. Je soupire intérieurement puis reprend ma face espiègle, même si à l’intérieur je suis triste quand même :

- Oui mais toi, tu ne l’auras jamais. JE suis la fille de l’Alpha, alors que toi, tu n’es rien. Les seuls à pouvoir prétendre au titre d’Alpha quand maman sera plus là, ce sera Winnie, Pati et moi. Et peut-être nos futurs compagnons, mais moi j’en aurais jamais, c’est nul les garçons de toute façon. Alors si tu veux tellement devenir Alpha, va voir du côté de Pati, qui sait, peut-être qu’elle voudra de toi ?

Je m’en veux quand même. J’aime pas casser les rêves, moi qui en ais de si grands. Et puis aussi j’ai un peu peur, dans un coin de ma tête, qu’il me prenne au mot, m’abandonne et aille faire la cour à Pati. Elle a rien demandé, et je m’en voudrais tellement s’il lui arrivait quelque chose, surtout par ma faute, moi qui doit la protéger !

Je grimace un peu.

- Désolée de détruire tes jolies petites illusions, mais je peux être Alpha, et pas toi. Le sang parle.

- Si mes rêves pouvaient être détruit par de si petite chose que les liens du sang cela serait de piètre rêve et je ne serais rien de plus qu'un clown dans le cirque de la vie.

Je me demande ce que c'est un clown et un cirque. Des loups bizarres ? En tout cas, je peux que reconnaître qu'il sait beaucoup de choses, Keya, mais je sais aussi que les liens de sang priment. Malheureusement.

Il se lève. Déjà qu'il est plus grand que moi quand il est assis, là il me surplombe de toute sa hauteur. Je me tords un peu le cou pour le regarder.

- Si tu veux tant que ça devenir Alpha, sache que tes liens de sangs avec Wistala ne te sauveront pas lorsqu'elle sera plus là pour te protéger. Quand le poste sera libre, ce sera la guerre. Ami ou pas, que l'on fasse ou non partie de la même meute. Alors tache de devenir une puissante guerrière avant que cela n'arrive.

J'ai ses crocs en gros plan. C'est impressionnant, c'est presque des dents d'adulte. Je me lève à mon tour, mais ma taille est dérisoire à côté de la sienne, seules mes petites flammes m'aident à garder contenance.

- Un jour, je serai une grande guerrière. La plus grande d'entre toute. Ce jour là, tu devras espérer ne jamais croiser mon chemin, ou alors seulement pour t'incliner, car ce jour là, je pourrais avoir envie d'un prétentieux pour mon goûter.

Je trouve que ma répartie elle est bien, et je me demande si je peux partir là dessus. Mais d'un autre côté j'ai envie de voir sa réaction. Bon non, autant partir en grande reine. Je me retourne vivement et pars d'un pas souple dans l'autre sens, mes petites flammes m'accompagnant telle une grande traîne.

Oui, un jour, je serais Alpha. Et ce jour là, contrairement à ce que je viens de dire, j'espère trouver en Keya un gentil ami, parce que c'est bien les amis, c'est important.