Je suis née chez les kuragari, mais mon père est Hikari. Bon, je vous explique, mais une seule fois, alors écoutez bien !

Mère et Père ont eu une relation extra-meute. Une Kura avec un Hika, un "amour" interdit. Je mets amour entre guillement parce que je crois que Père n'a jamais aimé Mère, même si elle, elle l'adorait (je l'ai deviné, jamais elle ne l'aurait avoué, mais personne ne vous déteste plus que quelqu'un qui vous a aimé). Très vite, Mère nous a attendu. Quand nous sommes nés, Mère prénomma ma soeur Djeen, mon frère Hato et moi Breyl. Je n’ai jamais vraiment aimé ce premier prénom, mais de toute façon, je ne l’ai pas porté longtemps. Mère avait l’intention de nous présenter à Père, mais elle apprit vite qu'il ne l'aimait pas du tout. Il refusa de la voir. Peu après, une jeune nourrice -la pauvre- eut la maladresse de demander de qui nous étions. Folle de rage, Mère la tua. Evidemment, elle fut bannie. Elle menaça de nous tuer, nous, ses louveteaux, si la meute kuragari ne nous laissait pas partir avec elle. Je n'ai jamais su qu'elle me tenait dans sa gueule, les crocs déjà perçant ma peau et que sa patte aux griffes acérées était prête à ouvrir le flanc de Hato.

Wistala, l'Alpha Kuragari, a envoyé un espion derrière nous dans l'espoir de retrouver ma mère et, de quelques manières que ce soit, de nous enlever de son emprise. Impossible. Mère avait tout simplement disparu dans la nature et l'espion dû rentrer bredouille.

Voilà comment à un mois à peine je suis devenue vagabonde. Hato est mort deux jours plus tard. nous étions tout petit, fragiles, et il faisait si froid… Mais de toute façon, je n’ai aucun souvenir de tout ça. Mère nous l’a raconté, quand elle avait encore des élans de gentillesse. Mère nous a renommées. Djeen et Breyl, elle nous a expliqué plus tard, c’était les noms qu’elle avait choisi pour nous en tant que futures membres kura. Mais maintenant que nous étions vagabondes, ils ne nous convenaient plus. Alors ma soeur devint Jeass, et moi Léatrice. Vite transformé en Trixi par ma soeur.

En grandissant, je devenais de plus en plus proche d’apparence de ma mère. Jeass de mon père. C’est ce que ma mère disait, “tu ressembles trop à Huo”, mais nous, nous ne pouvions rien réfuter, parce qu’on ne l’a jamais vu, Père. Mère trouvait même que cette ressemblance père fille était une excellente raison de frapper Jeass. Déjà petite, je m’interposais. Nul ne pouvait toucher à ma soeur. Devenue grande, je me battais même parfois avec Mère, quand elle ne reprenait vraiment pas ses esprits.

Jamais Jeass et moi n’avons pu nous enfuir. Ce n’est pas faute d’avoir essayé.

A l’âge de 3 mois, je chassais déjà des souris. J’étais si fière, à ma première musaraigne, quand je l’ai tendue à Mère, la tête haute. Elle l’a a peine regardé, elle a juste dit “tu peux faire mieux”. Alors j’ai essayé. Mère battait Jeass, je m’entrainais de plus en plus fort à chasser toujours mieux, toujours plus gros. J’espérais de toute mes forces rendre Mère un tant sois peu fière de moi, pour qu’elle arrête enfin de maltraiter ma soeur, mais jamais je n’ai réussi.
J’avais pour espoir de rejoindre les hikari. Comme Mère n’en disait que du mal, même beaucoup de mal, je me disais que du coup, ils devaient être les gentils dans l’histoire. L’ennemi de ton ennemi est ton ami. J’espérai tellement que ce soit ça ! Mais je n’ai jamais pu accomplir ce rêve, Mère ayant vite compris que ce qui m’empêchait de partir, c’était Jeass. Je ne pouvais abandonner ma petite soeur entre ses griffes. Jeass a toujours été plus faible. Maladroite, timide, elle parlait à peine, courbait à peine le dos sous les crocs, subissant sans chercher à fuir.

Alors quand je chassais, Mère gardait Jeass près d’elle. Aucun échapatoir. Rejoindre les hikari, ce rêve… Je ne pensais pas devoir tuer pour atteindre mon but.
Un jour, il n’y a pas si longtemps de cela, Mère nous a ammenée sur une falaise. Elle s’approcha de Jeass, j’ai eu peur qu’elle ne la pousse dans le vide. Alors quand Mère s’est ramassée pour sauter, j’ai bondis la première. Mes pattes avant ont violemment frappé le flanc de Mère. Mon élan et mon poids, combinés à ma haute taille (si souvent raillée par Mère) me permirent de lui faire perdre l’équilibre.

Je vous jure que je n’ai jamais voulu la tuer.

Son cri d’horreur m’a fait frissonner. Il résonna longtemps dans ma tête. Il hante toujours mes rêves, le silence, le noir…

J’ai eu très peur. Jeass n’était plus là. Et c’est mon cri qui résonna. Parce que ma soeur adorée était plusieurs mètres plus bas, sur un arbre à moitié déterré sous le choc, un grand pan de fourrure arrachée, l’oeil torve, vide. Je l’ai appelée. Longtemps. Fort. Mais je savais.

Elle était morte.

Du jour au lendemain, j’ai perdu Mère et Jeass. Du jour au lendemain, je n’avais plus personne.
J’ai mis le cap sur la meute Hikari.

J’approche. Je le sens. J’arrive.