La louve noire ne cessait de la fixer avec méfiance, mais surtout agressivité. La petite blanche ne comprenait pas. Pourquoi tous les loups, ici, ne cessaient de se méfier d'elle ? Pourquoi avaient-ils tous peur de sa réaction, mais surtout de ce qu'elle faisait ? Elle était pourtant gentille : elle avait toujours été gentille. En fait, elle était la bonté même, la douceur incarnée et la gentillesse représentait. Elle était le tableau même de la pureté naturelle. C'est peut-être pour cette raison que sa mère l'avait abandonné, qu'elle avait toujours eu peur d'elle ? Peut-être était-ce aussi cette raison qui faisait qu'elle était si isolée du monde ? Sans doute, je pense. En fait, c'est peut-être pour cette raison aussi que la nature lui a offert cet handicap. Un ange est-il né avec un corps parfait ? Oui, je suis d'accord c'est le cas. Mais un ange a-t-il un caractère et une âme parfaite ? Je n'en suis pas certaine. Même les anges ont leur défaut en réalité. Même leurs ailes ont des imperfections, même les anges ont du mal à être naturellement parfaits. Donc oui, son handicap est une évidence. Il permet de faire en sorte qu'elle soit un véritable ange, il permet qu'elle puisse se différencier des autres. Malheureusement, elle a du mal à le vivre. Mais un jour, sans aucun doute, elle y arrivera.

Finalement, la louve en face d'elle vint vers elle. Elle avança calmement mais toujours avec autant de méfiance en elle. La princesse des neiges la laissa faire, sans rien dire, ne cessant de plonger son regard bleu dans le sien et ne cessant d'essayer de comprendre sa méfiance. Leurs museaux se touchaient presque et la blanche sentit une pointe de déstabilisation, une pointe de méfiance elle aussi. Cette louve lui voulait-elle du mal ? Pourquoi grognait-elle de cette façon ? Pourtant, elle n'avait fait que lui donner sa proie. Elle n'avait fait en sorte de lui prouver qu'elle ne cherchait pas le conflit. Le petite blanche tourna son regard vers les trois oiseaux qui l'accompagnaient, avec une pointe de réconfort. Eux, au moins, ils restaient à proximité. Eux au moins, ils restaient près d'elle et ne l'abandonneraient jamais. Ils étaient ses seuls amis, en ce bas monde, malheureusement. Finalement, elle tourna la tête et replongea son regard dans celui de sa congénère, sentant comme une pointe de tristesse.

" Qu'est-ce que tu fous là ? " C'est vrai ça, qu'est-ce qu'elle faisait là ? Pourquoi avait-elle été si gentille, si brutalement ? Pourquoi lui avoir offert sa proie sans se poser de questions ? En réalité, pourquoi était-elle si gentille avec tous les loups ? Pourquoi se satisfaisait-elle d'un simple contact ? Tout simplement car elle avait toujours été ainsi, car elle avait besoin de se sentir " aimée ", de se sentir attirante - pas sexuellement mais tout simplement amicalement - pour les autres. La jeune louve finit par hausser les épaules, ne pouvant pas répondre et finit par revenir récupérer sa proie. Elle ne la voulait pas ? Tant pis, elle la mangerait alors. Elle croqua dedans avec délicatesse, se délectant du goût du sang qui coulait dans sa gorge.

Soyons honnête, Meerly n'a jamais réellement comprit ses congénères. Elle n'a jamais vraiment comprit pourquoi ils étaient si méchants, pourquoi il fallait qu'ils s'agressent mais surtout qu'ils aient du mal à communiquer entre eux. En fait, pour elle, si on veut absolument faire des connaissances, il faut absolument être gentils. Il faut être doux avec les autres. Il faut pouvoir communiquer délicatement avec eux sans pour autant se laisser submerger par ses émotions. C'est sans doute pour cette raison que la douce petite louve était surtout avec ses oiseaux. Ces derniers ne parlaient pas, ils ne la critiquaient pas, mais surtout ils la laissaient vivre la vie qu'elle voulait. Depuis sa plus tendre enfance, la petite louve avait toujours été atypique. On la considérait souvent comme différente, comme complètement marginale, mais finalement on s'attachait à elle. Car malgré son manque de voix, elle restait tout de même une jeune louve assez sociable, assez gentille mais surtout très attentive aux autres. A la parole de la noire, elle releva son regard bleu vers elle, léchant ses babines marquées de sang. Là, elle planta son regard dans le sien pour finalement secouer la tête. Que cherchait-elle ? A la provoquer ? Aucune importante, elle ne craquerait pas.

Soudain, ses crocs sortirent quelques instants sans pour autant grogner. D'ailleurs, je me demande si elle savait sa capacité à grogner. Je n'en suis pas certaine. Elle a tellement été habituée à rester tendre, gentille, soumise, que le grognement n'était pas habituel chez elle. Personne ne l'avait jamais entendu grogner, me semble-t-il. Pas même ses proies. Pas même les loups la faisant souffrir. Pas même sa mère qui l'a abandonné. Pas même son père qui ne l'a jamais aimé. Soudain, un mot : mère. Elle venait de parler de sa mère. Comment osait-elle lui parler de quelque chose qu'elle ne connaissait pas ? Comment osait-elle parler d'une mère dont elle ne connaissait rien ? Finalement, elle secoua la tête pour essayer de calmer sa haine et replanta ses crocs dans la proie à ses pieds.

Ca lui faisait du bien de manger. Non, réellement. Ca la calmait de croquer dans un met aussi bon qu'était un lièvre. Bon, d'accord, elle n'avait pas forcément apprécier de le tuer, de le voir souffrir, mais finalement sa viande tendre, encore chaude et sanguinolente la calmait petit à petit. Une bouchée, deux, puis trois et elle les avala rapidement pour ensuite déposer son regard sur la louve. Finalement, elle osa ouvrir la bouche. Un couinement, un chuchotement et cela fera comprendre à sa comparse qu'elle était muette. Autant lui faire voir la vérité plutôt qu'elle l'accuse de tout et de rien. Une teigne, c'était une véritable teigne.

En fait, plus le temps passait, plus la petite louve avait l'impression que son enfance ainsi que sa famille s'était imprégnée en elle petit à petit. Elle avait le sentiment que son passé ne cessait de l'envahir sans qu'elle ne s'en rende compte. En fait, elle avait réellement le sentiment d'être le vilain petit canard de cette société lupine. Comme si elle n'y avait pas totalement sa place, comme si elle ne pouvait pas franchement vivre la vie dont elle avait réellement rêvé. Ce petit canard dont on rie à chaque pas, ce petit canard où on crache dessus sans même se poser une seule question. En réalité, elle avait le pelage blanc, mais elle n'avait pas l'âme totalement blanche selon elle. Mais n'a-t-elle pas tord ? Oh si je le pense. Selon moi, elle est une louve totalement pure. Une louve qui a le coeur sur la patte, qui donne sans vraiment hésiter, qui offre son âme en fonçant, mais surtout qui laisse ses émotions dépasser ses pensées. Je me demande si un jour elle ne se laissera pas submerger ainsi ? Si elle ne mourra pas complètement piétinée par les loups qui l'entourent ? Si elle ne mourra pas complètement souillée par les âmes qui l'envahissent ? J'ai peur, mais je ne lui dirais rien sinon elle risquerait de fuir. Heureusement pour elle, ses oiseaux étaient là pour l'empêcher de couler. Heureusement que ces volatiles la sauvaient petit à petit.

Cette louve noire représentait totalement son alter ego maléfique. Oh je n'irais pas jusqu'à dire que cette femelle est d'une méchanceté sans égale, qu'elle est maléfique mais aussi très mauvaise, ce n'est pas du tout le cas. Cette jolie louve noire est tout simplement une louve ayant vécu des choses que la blanche n'a pas connu. Elle est tout simplement un animal ayant vu et entendu beaucoup plus de choses étranges qu'elle. La blanche est muette, elle a été abandonné, mais en soi ... Est-ce réellement quelque chose d'exceptionnel ? Je n'en suis pas certaine. C'est malheureux, certes, mais tellement banal en réalité. Ne voit-on pas souvent des personnes muettes dans le monde ? Ne voit-on pas très souvent des enfants orphelins ? Ne distingue-t-on pas fréquemment des animaux abandonnés à la porte d'un refuge ? J'en suis certaine. La preuve en est avec les chiens que l'on adopte en SPA, que l'on découvre dans un carton près d'une église. Ouais, l'abandon est, malheureusement, prédominant dans la société de nos jours. Un animal brisé n'est pas un animal abandonné, en fait ? Certainement.

" Alors comme ça, tu as une langue ? " Bizarrement, cette remarque vint faire tilt dans sa tête, mais aussi provoquer un certain serrement au coeur. Encore une fois, on la piétinait à cause de son handicap : encore une fois, on lui brisait son âme subtilement. Bien évidemment, elle savait parfaitement qu'elle ne faisait pas volontairement, tout du moins elle l'espérait, alors elle ne dit rien. Elle ne fit que prendre la carcasse du lièvre et disparaître délicatement derrière un buisson. Là, pendant quelques minutes, elle creusa un trou avec ses pattes avant. Elle prit la carcasse, la mit tendrement dans ce trou et la recouvrit grâce à son museau. Finalement, elle sauta le buisson et se retrouva en face de la noire, une seconde fois : là, elle hocha la tête. Oui, elle entendait. Elle entendait même parfaitement. Même presque mieux que n'importe quel loup. Quand on perd un sens, on en développe un autre n'est-ce pas ? La petite blanche espérait réellement que cette rencontre irait dans un meilleur sens, qu'elle se sentirait moins mal à l'aise. Elle détestait ressentir cette impression de ne pas être à sa place.