C'est le matin. Il fait toujours nuit. Il est si tôt que je dois être la seule réveillée. Peut-être un ou deux veilleurs. Mais pas beaucoup plus.

J'aime bien cette heure de la journée. Il n'y a personne. C'est la forêt sans les loups. Les quelques oiseaux qui n'ont pas migrés se réveillent. Il n'y a personne pour m'embêter, personne pour me demander de parler, de me montrer. Il n'y a personne. C'est beau comme heure. Je peux presque croire que ce monde n'appartient qu'à moi. Qu'il n'est là que pour moi.

Je marche doucement dans la forêt. La patte souple pour faire le moins de bruit possible. Je ne veux pas troubler cette tranquillité. Je le ferais. Rapidement, je dois chasser. Je ne suis pas chasseuse, mais bon, chasser permet de s'entraîner. C'est Fenrir qui le dit. Si un lapin ne sent pas les vibrations de mes pattes, alors un loup ennemi en sera incapable. Du coup, je m'entraîne.

Calme. Paisible. Je lève le museau. Une multiplicité d'odeurs viennent remonter mes sinus. L'air est frais. Je sens les bourgeons, une fragrance très frêle, ils ont dû geler dans la nuit, il a fait froid. Le vent doucement vient caresser mon pelage qui se dresse le long de mon dos.

J'avance une dizaine de minutes ainsi, le nez en l'air, peu soucieuse de ma marche. Je rejoins cette petite clairière que j'ai si souvent occupée avec Fenrir. M'asseyant calmement, je ferme les yeux, ralentis ma respiration. J'écoute les sons qui m'entourent. Les oiseaux qui s'éveillent, le lapin qui grignote. Les odeurs s'imposent à moi, la rosée matinale, les feuilles vertes et cette senteur préventive de la chaleur de la journée.

Je m'immobilise soudainement. Là, une odeur animale. Pas un loup. Un petit animal. Hum... Pas un lapin non plus. Une souris ou une musaraigne sûrement. Tout petit, de quoi nourrir un louveteau de quelques mois tout au plus. Mais avec des pattes si sensibles que la tâche sera ardue. Et puisque le but de l'exercice est principalement l'approche discrète, cela fera l'affaire.

Je me ramasse sur moi même. Tourne me mettre face au vent. L'odeur me vient de plein fouet. J'avance tout doucement. Les feuilles ploient sous mon poids. La souris grignote un truc. Une graine ? Pourquoi pas, il y en a partout en ce moment.

Au dernier moment, je bondis en avant. Si le rongeur a entendu mon saut, je m'abats sur elle avant qu'elle ne prenne la fuite. Sa nuque se brise toute seule tellement c'est facile. Je fais attention à ne pas l'écraser. Voilà. Morte. Je me redresse, fière de ne pas avoir été remarquée.

Je me relève, fière de moi, la souris aux pattes. Je regarde autour de moi. Non, personne. Cool, je vais pouvoir manger en paix. Un rongeur si petit, ce n'est pas un vrai repas, plutôt un amuse-gueule, mais j'aime bien le goût. Donc, ça ne me nourri pas vraiment, mais qu'importe ? J'ai tout le temps pour chasser plus gros et le ramener au camp. Quand je me relève, je me lèche les babines. Puis je reprends mon chemin. Quelques minutes plus tard, un magnifique oiseau s'envole. Tant pis, ç'aurait été dommage de tuer et de manger un si bel animal.

Continuant mon chemin, je vais peu à peu dans mes pensées. Je n'ai pas vu Maman depuis très longtemps. Et j'évite Alakey comme je peux. Même s'il semble assagi, je n'ai plus confiance, et ce, depuis longtemps. C'est comme si j'étais orpheline. Pas de famille. Juste la meute. Enfin, juste. La meute est tout. Elle m'a recueillie, m'a confiée à un loup incroyable, Fenrir, m'a donnée confiance en moi -enfin, un peu- m'a fait devenir ce que je suis. Donc c'est pas juste la meute, puisque la meute est tout. Je secoue la tête. Mes réflexions sont tordues. Ou peut-être est-ce seulement mon esprit qui est tordu ? Mais dans tous les cas, si j'ai un esprit tordu, alors ce qui en sort doit l'être, en toute logique. Non ?