Il pleut. Il pleut beaucoup ces derniers temps. Trois jours sans interruption. Je me secoue, envoyant des gouttelettes dans tous les sens. Ce n'est pas de la pluie qui m'empêchera de sortir. Je déteste être à l'intérieur trop longtemps. Ça finit par m'oppresser. Et puis j'avais besoin de laisser s'écouler mon énergie. La chasse est très bien pour ça.

Je plisse les yeux. Une épaisse goutte glisse entre les deux, me faisant involontairement frissonner. Bon, c'est vrai qu'il pleut beaucoup. Mon pelage est collé à ma peau, trempé, ce qui ne me réchauffe pas vraiment. Mais je profite tout de même. Plus tôt dans la matinée, j'ai débusqué un lapin pas encore réfugié par le déluge, mais depuis, plus rien. Résigné, je me retourne, me secoue encore une fois et va chercher ma proie.

Sur le chemin du retour vers le camp, je me rends compte que je vais passer juste devant la tanière d'Apogripha. La jeune louve est une Oméga de la meute. Aveugle, elle ne sort jamais du camp. A vrai dire, je ne l'ai pas vue depuis un moment. Pensif, je cherche dans ma mémoire. Oui, je ne l'ai pas vue. Pas depuis... hum. Depuis au moins avant la pluie. Il est vraie que pour une louve comme elle, se repérer sous un tel torrent ne doit pas être simple. Mais je crois bien que je ne l'ai même pas vu aller manger. Enfin, ce n'est pas comme si je la suivais partout tout le temps mais quand même. J'irai la voir au passage.

Ma décision prise, mes pensées virevoltent un peu plus loin. Je me demande ce que papa a fait de sa journée. Il ne sort pas beaucoup lui non plus, avec l'âge, les rhumatismes...

Enfin, j'arrive devant l'entrée de la petite tanière de l'Oméga. Je pose ma proie et me racle la gorge pour m'annoncer. N'entendant aucune réponse, je ramasse le lapin et entre avec précaution. Apogripha est là, couchée au fond. Tête entre les pattes avants, elle tremble et gémit. J'espère que ce n'est pas de moi qu'elle a peur.

Il faut comprendre quelque chose sur moi. Certes j'ai besoin de me défouler. Certes j'aime faire souffrir des loups, occasionnellement. Mais pas elle. Pas les Oméga de ma meute. J'ai peur de ne pas pouvoir me retenir. Et puis, j'ai déjà les étrangers, pourquoi alors faire souffrir inutilement un de mes camarades ?

Je laisse doucement glisse le lapin au sol. Je prends ma voix la plus douce, celle que je ne garde qu'à mes camarades. La plus gentille.

- Apogripha ?

La voyant frissonner, j'adoucis encore le ton, parlant calmement, pour ne pas l'effrayer encore plus :

- C'est moi, c'est Iain.

Apogripha relève la tête, l'air surprise. Ses narines frémissent et son estomac gronde si fort que je l'entends de ma position. Je lance un bref regard vers la dépouille de ma proie. Hum, oui, je vais la lui laisser. Comme si elle m'avait entendu penser, la louve penche la tête sur le côté. Elle ne semble pas comprendre.

La tournant, son regard aveugle parcourt la tanière. Me cherche-t-elle ? Oui, probablement. Ses oreilles ne sont pas couchées, mais elle ne semble pas confiante pour autant. Elle semble attendre. Attendre que je me défoule sur elle ?

Un profond soupir vient baisser mes épaules. L'air navré, je cherche à lui faire comprendre, mais comment ?

Je saisis le lapin par la peau du coup et lentement m'approche d'Apogripha. Je le dépose juste sous son museau, juste entre ses pattes.

- Tiens. Mange.

Je parle tout doucement, comme pour calmer un animal effarouché - ce qu'elle est. Calmement, sans la moindre once d'agressivité, je lève la queue et effleure sa joue, l'incitant à se pencher vers l'animal. Puis je recule. Je sors de son espace vital. Je retourne à l'entrée.

- Tu peux manger, je ne te le prendrai pas.

Un brusque coup de vent vient bouffer ma fourrure mais peu m'importe, le froid ne m'atteint pas. Et puis, après avoir passé des heures sous la pluie, la douce chaleur de la tanière, réchauffée par la présence permanente d'Apogripha, est très agréable. Ce n'est pas un petit courant d'air qui me fera frissonner.