Tes pattes étaient d'inlassables machines. Sans jamais faillir elles te portaient là où tu souhaitais aller. Et aujourd'hui était un jour important pour toi, car armé de ces mêmes pattes, tu revenais vers ta terre natale. Cette terre qui n'avait de cesse de se rappeler à toi, où dans ton esprit s'associait ta vie au regard d'une louve qui t'avais accompagné en pensées jusqu'aux terres les plus reculées. Et tout en songeant à cela, tu demeurais d'un stoïcisme parfait, la neutralité étant ton quotidien depuis trop longtemps pour qu'une autre époque n'arrive à se frayer quelques chemins vers ton cœur de pierre.
Si le temps n'était pas au beau fixe à l'heure actuelle, il offrait quelques éclaircit de-ci de-là. Cela permettait à ceux qui savaient encore ressentir de ne pas être trop maussade. Quand à toi, ton regard se portait au devant du chemin et non pas vers le ciel que tu savais inaccessible. Sauf pour elle. Et alors tes yeux quittèrent le paysage monotone pour se poser sur le ciel grisâtre ; quelques mirages traversant tes pupilles imprimèrent la silhouette de cette louve s'ébattant dans le ciel munit de ses ailes robustes à l'aspect pourtant délicat. Ces quelques souvenirs n'éveillèrent rien. Alors que tu étais certains de tes sentiments, tu ne ressentais rien en pensant à elle. Et tu savais que cette absence de ressentis devrais te frustrer. Mais même ça tu n'y arrivais pas.

Cela stoppa nette ta marche. Tu essayas tant bien que mal de te remémorer ce que cela faisait de ressentir tel ou tel émotions. Mais ton cœur restas sourd à cette recherche, il demeura muet comme à son habitude et se fit aveugle à ce qui pourrait te sauver. Alors sans que rien ne montre ce dilemme neutre qui se trouvait en toi, tu recommenças à marcher vers cette terre qui te vit grandir. Derrière toi deux formes semblables te suivaient, fidèles alliées. Ces deux appendices se tordaient comme aucun autres ne le pouvaient. Mais elles étaient la manifestation fidèle de ton pouvoir et leur présence était passive, tout comme toi ; elles étaient l'idéal pour un être comme toi. Le paysage changea alors lentement. Et lentement tu le reconnu, comment l'oublier ? Ce n'était pas tes souvenirs qui étaient impactés mais bien tes émotions. Alors lorsque tu fus au plus haut de cette falaise, tu reconnus sans mal derrière toi le petit abri rocheux où tu avais longuement vécu avec ta famille.

Pour l'heure, cela ne t'intéressais pas. Pouvons nous même pérorer que quoique ce soit t'intéresses encore ? Le paysage en contre bas de la falaise avait changé, toutefois. Là où la mer venait creuser un peu plus la roche chaque jour, elle offrait aujourd'hui la vision d'un océan de verdure. La plaine s'étendait à perte de vue où divers rochers plus ou moins gros venait casser la monotonie de l'herbe verte. Puis dans cet océan de paix naquit une tâche floue et d'un blanc qu'on ne pouvait ignorer. Droit au sommet de ta falaise, assis comme un roi solitaire, tu ne pus que la reconnaître. Un battement de cœur te fis plisser les yeux et quelque chose de diffus engourdi tes membres avant de disparaître soudainement.
Tu as alors envie de sa présence. En réponse tes poumons se gonflent, ta tête se lève vers ce ciel que tu dédaignes tant et ton hurlement résonnes dans le silence que tu n'as aucun scrupules à briser. Tu appelles cette silhouette blanche que tu n'as pu te résoudre à oublier durant ton périple.

Elle est après tout, ce qui a guider tes pas jusqu'à ces terres que tu maudis.

Tu observes les ailes la porter sur le tapis invisible du ciel. Si quelques doutes avaient pu subsister quand à son identité, il n'en demeurait dès lors plus aucun. Toutefois rien ne s'offrit aux regards extérieur si ce n'est ce visage si neutre qui est le tiens. Silencieusement et statique tu demeures à l'endroit où tu es, tes queues battant paresseusement l'air chacun leur tour en un ballet qui ne changeait jamais. Jamais tes yeux ne se décrochèrent de l'avancée légère de la louve, ce vole gracieux tu le connaissais, tu y avais pris goût à ces plaisirs qu'elle s'offrait en profitant d'un monde où personne ne pouvait l'atteindre.
Un monde où même lui demeurait absent.
Ta tête tourna en même temps qu'elle se posait non loin de lui à ses côtés. Comme un mirage, les ailes immaculées semblèrent s'évanouirent dans le vide. Puis tu clignas des yeux sans éprouver la moindre surprise, le moindre choc. Cela aurait dû pourtant. Ces temps d'absences avaient-ils eu raison des moments passés ensemble ? Tes yeux jaunes restèrent aussi vide que de coutume mais cela ne t'empêchas d'exprimer ce qui devait l'être.

- ... Juste un ami proche. - ta voix était profonde et riche - As-tu tout oublié de nous ? -

Quelle question futile. Tu le savais, cette question n'était pas un faux semblant, pourquoi te ferait-elle subir ça ? Ce n'était pas dans ses habitudes. Tu demeures toutefois à ta place, assis sur le sommet de cette falaise exposée aux vents sans sembler plus t'en inquiéter que cela. Ni les dieux ni les diables ne te font peur, ils ne sont que chimères et prétextes pour les faibles. Tu quittes ton amie du regard. Tu es conscient de n'être honnête ni avec elle ni avec toi même. Une amie ? Envers quelle amie à t'on jamais ressenti pareil amour ? C'est ridicule et tu le sais. Tu ES ridicule. Et tu le sais. Mais sans connaître en profondeur l'histoire de la louve, tu ne souhaites te risquer à exposer tes sentiments comme autrefois tu n'en as pas eu le courage.
Tu fermas les yeux, comme lassé sans l'être pourtant réellement.

- Comment vas-tu depuis tout ce temps ? Je rentre tout juste de mon voyage, je ne connais rien des nouvelles par ici. -