Rhapsody trottinait lentement, la gueule entrouverte et la langue pendante. Heureux comme un louveteau qui sort enfin de la tanière après un long hiver, il avançait sur des terres neutres sans trop se soucier de ce qui pouvait l’entourer. Il était tout bonnement heureux de vivre depuis quelques temps. Sans doute parce qu’il avait le cœur léger et l’âme douce. Le loup sombre n’était pas torturé par d’affreuses créatures qui tentaient d’avoir raison de lui. Plus calme que lorsqu’il était jeune et plus le moins du monde influençable, il se contentait de marcher d’un pas vif et déterminé, vers une destination que lui-même ne connaissait pas. Probablement trouverait-il au bout du chemin quelque chose qui rendrait sa journée davantage douce -si tant est que cela pouvait être possible.

L’air était humide et il sentait la saison des pluies approcher à grand pas. Mais cela ne l’effrayait guère. La pluie il l’aimait. Il ne craignait pas non plus les éclairs déchirant le ciel ou le tonnerre grondant sa colère aux créatures terrestres. Il acceptait la nature autant qu’elle pouvait elle-même l’accepter depuis sa naissance. C’était comme un pacte évident et pourtant bien secret entre ces deux-là. Alors, tant que Rhapsody vivrait, il se contenterait d’aimer ce qui l’entourait sans jamais en avoir peur. Cependant, cette absence de crainte ne dissipait pas la méfiance et la prudence qui l’habitait depuis toujours. Et s’il ne craignait pas la mort, inévitable fin dans ce monde, il prenait pourtant garde en en rester le plus loin possible, et ce le plus longtemps qu’il le puisse. Il aimait sa vie après tout, quand bien même était-elle parfois un peu complexe et étrange.

Le chasseur aux yeux bleus s’arrêta pour humer l’air. Il avait senti l’odeur d’un autre loup et comme il était d’un naturel assez curieux lorsqu’il s’agissait de ses congénères, il décida d’aller à la rencontre de l’inconnu. Plus il approchait, plus il avait l’impression d’avoir des indications sur l’autre créatures lupines. Si bien qu’il devina avant de le voir, qu’il allait là à la rencontre d’un Hikari. Fort bien, voilà une éternité selon lui qu’il n’en avait pas rencontré et il était toujours curieux de croiser leur chemin. Le sourire au coin des babines, il se manifesta finalement en apercevant le loup. « Bonjour camarade ! Comment vous portez-vous en ce doux début de matinée ? ». Peut-être était-il un brin trop enjoué pour l’occasion, mais il ne s’en souciait guère. Aujourd’hui, il était à des années lumières de la réalité, simplement heureux d’être vivant.

Le loup blanc le toisa du regard, l’air à la fois surprit et agacé. Rhapsody était probablement arrivé à un moment important, ou alors c’était sa simple présence, peu importe le moment, qui dérangeait l’autre mal, installé tout en haut d’un rocher. Pourtant, le loup sombre aux yeux bleus avait fait en sorte de ne pas être désagréable et avait même tenté d’esquisser un petit sourire pour paraitre poli et bienveillant. Alors maintenant, il espérait bien que cela ne soit pas mal prit. « Salut ! » Il descendit lentement de son rocher pour venir à la rencontre du chasseur des Kuragari et pendant un instant, ce dernier hésita à reculer d’un pas, pour maintenir une certaine distance.

Cependant, Rhapsody reste immobile et se contente d’attendre, avec bienveillance, préférant croire aveuglement en la bonté d’âme de son congénère. « Et bien ma foi je vais bien. Et toi donc ? » Il sourit doucement avec bienveillance, ravis d’avoir eu raison quant à l’innocence du loup blanc. Lentement, le loup au yeux bleus hocha la tête pour répondre muettement à la question que l’on venait de lui poser. Finalement, il se racla la gorge avant de s’exprimer doucement ; « Je vais bien merci ! »

Bien sûr, il était relativement surpris de la proximité avec laquelle l’autre lui avait répondu. Mais il décida de ne pas s’en formaliser, car à ses yeux, ce n’était pas forcément un manque de respect. Non, en fait, c’était tout simplement une façon différente d’exprimer de l’intérêt. Alors, il décida d’enchaîner sur ce même ton familier ; « Je m’appelle Rhapsody. Et toi ? ».

Le loup blanc assis en face de lui semblait l’étudier avec une certaine attention et Rhapsody se persuada pendant un instant qu’il devait effectivement faire face à un tout jeune animal de la meute Hikari. Car c’était bien l’odeur des Hikari qui s’échappait lentement mais surement du pelage du jeune mâle et qui parvenait jusqu’aux narines du chasseur des Kuragari. « Je suis Shlava, fils d'Elemiah. » Le loup aux yeux bleus le regarda se redresser puis s’asseoir à nouveau avant de hocher doucement la tête. Il savait très bien qui était Elemiah, mais il trouvait un peu présomptueux de se présenter en tant que sa descendance. Craignait-il que le noiraud ne s’en prenne à lui ? Si c’était le cas, il faisait probablement cela pour s’assurer une certaine sécurité. Ou alors était-il suffisamment arrogant pour croire que Rhapsody allait s’arrêter au nom de l’alpha des Hikari et se mettre à lui faire des courbettes. Mais le loup noir ne lui devait rien, absolument rien. S’il était respectueux et calme pour l’instant, c’était simplement par égard pour sa meute et les bonnes relations qu’elle entretenait avec l’autre meute. « Ravi de rencontrer le fils d’un loup et d’une louve. » Voilà une réponse un peu ironique, qui suffirait peut-être à faire comprendre que le respect ne s’obtenait pas par le nom d’un parent ou d’un rang, mais par des actions. Et si de base le chasseur respectait tous les loups, il pourrait vite s’agacer toutefois.

« Je ne t'ai jamais vu. Mais tu n'es pas un Vagabond, n'est-ce pas ? Je sens les Kuragari sur toi. » L’intéressé sourit doucement avant de hocher la tête. Effectivement il n’était pas un vagabond, même s’il aurait pu l’être dans une autre vie. Fortement attaché à sa meute et porté vers elle d’un amour sans limite, Rhapsody ne rechignait jamais à l’idée de se présenter en tant que membre. Après un instant de silence, il prit toutefois la parole ; « En effet, je suis chasseur dans la meute des Kuragari ». Il marqua un instant de pause avant de reprendre ; « Je ne te demande pas ta meute, cela tombe sous le sens et il serait impoli de te faire répéter. »