Je soupire.

Toujours rien.

C'est vrai, peut-être que je devrais rentrer. Faire une pause. Pourquoi pas. La journée a bien filé. Il est possible que des patients soient passés. Oh ! Je n'ai pas peur pour eux, je suis sûre que Avakir a pu s'occuper de ceux qui se seraient présenté, mais quand même, c'est mon rôle !

Encore quelques minutes ? Et après on rentre !

Le sourire vient à mes lèvres. Je la soupçonne d'apprécier l'air frais après celui plus chaud de mes tavernes. Je la comprends. Le petit vent est bien agréable.

Bon, ok, on rentre.

Je la sens faire la moue, mais tant pis. Je retourne sur mes pas, cherche mes proies. Elles sont toujours là où je les ai laissées -heureusement, les morts n'ont toujours pas appris à se déplacer. Petit à petit je les ramène au camp. Bon, la pile de gibier monte un petit peu. Je garde une bête pour moi, les mange lentement et pars dormir dans mon antre solitaire. Oui, dormir est bien agréable !

Le lendemain, je ressors. Cette fois, je ne vais pas faire la chasse mon activité principale. Je dois d'abord et avant tout chercher des plantes. Mais de toute façon, l'absence de proies m'empêcherait de chasser. Je sens Ysael rouspéter au fond de mon esprit. Je la laisse chercher des répliques à me lancer. Après tout, elle connait bien ça.

Rapidement, je tombe sur un beau plant de fougère. Des grands, bien vertes. Leurs frondes sont toutes déployées, cela fait une magnifique couronne. Et à son pied, un délicat arbuste de houx. Pas bien grand, il date de cette année lui. Je ne vais rien cueillir maintenant, mais je vais le garder en tête, il me sera sûrement utile pour les prochaines années.

Je relève la tête quand un craquement m'alarme. Ysael est soudain alerte dans mon esprit. Je la sens lentement prendre possession de mon corps -ou de notre corps, ça dépend comment on le voit. Elle est bien plus douée que moi pour nous défendre en cas de problème. Ou pour courir s'il faut fuir. En cas de danger, toujours faire confiance à Ysael. J'attends en silence puis... un faon bondit de derrière les fougères. Il ne s'attendait pas à me voir apparemment. Et je suis probablement le premier loup qu'il voit, si j'en crois sa réaction. Il reste là, immobile, à battre de ses longs cils, à me fixer. Je le fixe aussi. Mais moins longtemps. Ysael veut de l'action. Et un faon à ramener au camp, c'est une prise plutôt sympathique. On est loin du cerf ou du sanglier, mais un faon, c'est quand même bien trois-quatre loups, ce qui est déjà pas trop mal. Je -elle- me tasse pour mieux bondir. Puis ma patte bat l'air, s'abat avec violence sur la nuque du bébé. Je n'aime pas tuer les bébés. Mais parfois, il le faut. En plus, il y aurait trop d'adultes si on ne régulait pas un peu le nombre de bébés. L'animal s'écrase de son poids sur le sol. Il reste inerte. Ysael recule un peu dans ma tête, fière d'elle.

T'as vu ? En un seul mouvement !

Et je ne peux m'empêcher de lui rendre le sourire.

Gentiment, je la félicite. Et puis je traîne le nouvel animal vers mon cher chêne aka réserve de gibier quand je chasse. Le faon est trop gros pour être enterré. Je dois espérer que personne ne va passer par là pour me le piquer. Je repars.

Quelques minutes plus tard, peut-être une demi-heure après mon re-départ, la fumeur d'un lièvre chatouille mes narines. Dans ma tête, Ysael s'incline.

A toi l'honneur.

Je me mordille la lèvre.

Sûre ? Je risque de la faire s'enfuir, alors que toi...

Totalement sûre.

Je la sens si sûre d'elle que je ne peux pas répliquer. Apparemment, elle tient mes talents de chasseuse en plus haute estime que moi-même ! Mais je lui fais confiance. Je m’aplatis au sol, tourne me mettre face au vent. Il ne manquerait plus que ma proie me sente avant que je ne puisse l'avoir ! Puis j'avance. Et finalement, je n'ai même pas besoin de sauter, car le lièvre, soudainement affolé par quelque chose, court vers moi. Je n'ai qu'à tendre la tête et le cueillir dans ma gueule. Son cou s'y brise et un peu de sang coule dans ma gorge. Je le pose doucement au sol. Le pauvre, il a pas compris qu'il avait couru vers sa mort.

Tu vois, qu'est ce que je t'avais dit ?

Le sourire affleure à mes lèvres. Parfois j'arrive à attraper des proies, je ne suis pas si rouillée que ça ! Je roule des épaules. Puis glisse la bête à côté du faon. Bon. On va bien voir si ma chance va durer. Mon nez fin repère vite une dernière proie. Un lapin cette fois. Oui, ça change beaucoup du lièvre.

Mais à peine ai-je fait deux pas que mon ventre produit un gargouillement gargantuesque. Evidemment, fuite de ma proie.

Ysael rit. Je la sens se plier en deux pour rire encore plus. Pfff. Je secoue la tête et retourne à mes dernières proies. Autant les ramener au camp. Ça va déjà me demander deux allers retours ça. Je prend le cou brisé du faon dans ma gueule et le traîne. Au moins, le sol est sec et non pas boueux, sinon il y aurait eu succion et c'est affreux pour tirer un truc sur ce genre de sol. Puis je fais demi-tour, cherche le lièvre. Et finalement, je m'en vais dans ma tanière. Une petite sieste s'il n'y a personne. Et après... Inventaire. Un truc bien moins physique.

Faut vraiment que je me refasse une santé.

La sieste. Quelle activité est plus agréable que celle-ci ? Tu dors, tu bouges pas. Aucun effort, le bien être complet. Mais faut se réveiller. Et mon clairon est Ysael. Quand elle veut réveiller quelqu'un, elle n'y pas dans la mousse. Je secoue la tête, les pensées embrumées. Et quand enfin je suis capable d'aligner des mots et des pensées cohérentes, je me lève, m'étire, passe dans l'autre grotte qui compose ma tanière. Puis enfin je sors les plantes de leurs emplacements et commence tranquillement à les trier.

Ce n'est que la semaine suivante que je retourne en forêt chasser. Et encore, je ne le fais que pour satisfaire Ysael. Après tout, elle n'a pas l'esprit d'une guérisseuse, elle ne se satisfait pas de soigner, chercher des plantes et les ranger, elle veut courir, traquer, tuer. Elle en a besoin. Et donc moi aussi, pour la bonne entente de notre euh... couple ?

Je décide de laisser l'autre aux commandes. Après tout, elle est plus forte que moi. Mais je me demande pourquoi. Et surtout, je me demande toujours ce qu'elle fait là. Et qui elle est. Parce que c'est étrange quand même.

Ysael me fait trotter une dizaine de minutes avant de me stopper, museau levé. Les fumeurs d'un groupe de sangliers nous arrivent, fortes. Ils ne sont pas loin.


On se les fait ?

Je roule des yeux. Bah, de toute façon, c'est elle qui nous contrôle là.

C'est de la politesse ma grande, on est deux, on doit être d'accord.

Et bien tu as mon accord.

Elle trépigne de joie. Et commence tranquillement sa traque. Encore une fois je me demande d'où vient ma compagne d'esprit. Tous les gestes semblent gravés dans sa mémoire. Et étrangement dans mon corps ? Comme s'il était devenu le sien, comme si elle l'avait entraîné des années. Trop étrange.

Elle s'attaque d'abord à un marcassin isolé. Trois mouvements et le voilà raide mort. Sauf qu'il a eu le temps de crier, et sa mère l'a entendu. Ou du moins, je le devine, en vu de son élan de protection -bien qu'en retard.

Ysael ne se démonte pas, la regarde nous foncer dessus puis saute sur le côté en dernier moment. Et d'un geste leste -je reste impressionnée- elle bondit sur le dos de l'animal et lui mord la nuque alors qu'il rue. Puis de ses -nos- griffes, elle ouvre la gorge du mastodonte, qui s'effondre en quelques secondes à peine.

Pas mal.

Je la laisse garder le cap. Rapidement, une nouvelle proie s'affiche à son palmarès de chasse. Une magnifique biche. L'instant plus tôt, elle bondissait par dessus un plant de fougères. Celui d'après, elle était là, étendue par terre, achevée par le dernier coup de griffes. Yaela est rapide, je ne peux que l'admettre. Et elle fait proprement son boulot. La blessure est unique, et surtout claire. Droite, ferme. Le sang finit déjà de s'écouler. Le sang s'écoule toujours vite de la jugulaire. C'est pour ça qu'il ne faut jamais y être touché. En quatre minutes, t'es mort. Au moins, tu n'as pas une agonie trop longue. Ni trop douloureuse. Pas le temps.

Vous savez quoi ? Je vais laisser Ysael chasser à partir de maintenant. Je sais pas comment elle fait, mais waouh, elle est douée. Peu après avoir attrapée la biche, elle l'a ramenée au camp, puis est ressortie, insensible à la fatigue que moi j'éprouve. Elle, elle est pas fatiguée. Étrange franchement.

Mais ça a du bon. Un oiseau vient délicatement mourir entre ses pattes (une belle perdrix, assez imprudente pour ne pas s'envoler alors qu'une louve d'une dizaine de kilos s'abattait sur elle. Même les plumes n'ont pas daigné voler un peu. Puis c'est une laie qui rencontre notre chemin. Une toute jeune, elle n'a pas dû avoir encore de petits. Et Ysael nous refait le tour du rodéo mais cette fois, au lieu de l'égorger, elle va chercher la colonne vertébrale dans la nuque de la grosse bête et la brise nette de quelques coups de pattes. Bon, son flanc -le mien plutôt- est blessé, une des défenses en a percé la peau, mais bon, ça va, ça s'accompagne de ce mastodonte de chair appétissante.

On rentre au camp. Lentement, elle me laisse réintégrer mon corps, et elle repartir dans la tête en simple esprit. La douleur me frappe, mais pas aussi forte que je ne l'avais craint. Forte de mes connaissances, je cherche mes ressentis avant de décréter que ça va, le muscle n'a pas été touché, la paroi abdominale n'a pas été percée ni rien. Aucune veine importante de touchée. Ça va. Un petit cataplasme, un dodo, repose de deux trois jours et ce sera bon. Bon forcément, quand je vois un gros pigeon se poser à seulement deux ètres de moi en la plus grande insouciance, je ne peux m'empêcher de l'attraper. non mais attendez ! Je pouvais pas passer comme ça ! Il est littéralement venu se sacrifier ! Je le ramène, peinant un peu sous son poids. J'enverrai un chasseur ou deux récupérer la dépouille de mon sanglier. Là, je vais dormir.