Je me suis réveillée dans la nuit. Je revoyait la mort de Kayli. Celle de Zia. Celle de Heji. Ces morts affreuses. Ces disparitions glaçantes. Qu'un enfant de cet âge puisse finir ainsi sa vie me désespère toujours autant.

Je marche. La nuit est belle, la lune haute. Il fait frais, c'est agréable. Tout le monde dort, au camp. C'est l'heure où même les petits sont éteints. Pouf, en veille l'espace d'une demi-journée. J'adorais regarder mes bébés dormir. Si paisibles. Si calmes.

Je secoue la tête. Ça ne sert à rien de ressasser ces souvenirs. Plus que des souvenirs. Plus la réalité. Plus qu'une blessure sur laquelle on met du sel.

Je cours, histoire de me changer les idées. Ça marche parfois. Le vent s'enroule délicatement autour de mon museau, traîne près de mes oreilles, glisse le long de mon dos, de mes flancs, s'échappe derrière ma queue. C'est bon. La vitesse augmente. Je me sens sauter, voler. Courir, poursuivie par ces souvenirs maudits... Ces souvenirs qui toujours me rattrapent. Je ne peux les oublier. Je ne veux les oublier.

Tu sais bien que tu ne peux pas les oublier. C'est impossible.

Un sourire un peu forcé vient toucher mes lèvres. C'est bien vrai, je ne peux oublier mes bébés. Je secoue la tête, vient enlever ces pensées de mon esprit. Je vais chasser. Le matin va se lever et avec les bêtes vont sortir. Hum, je n'ai pas chassé depuis longtemps moi. Ça promet.

Mais nooon. Tu vas y arriver.

Je roule des yeux. Ysael est une éternelle optimiste. Je lève mon museau. Mon odorat, au moins, est très affûté par tous ces moments passés à déterminer les différentes plantes uniquement par leur senteur. Ce n'est pas une mince affaire et je sais que mon nez est plus fin que la plupart de mes camarades, par cet exercice continuel. Je sens rapidement l'odeur fraîche d'un lapin. Je m'approche, mais oublie comme une débutante de faire attention au bruit que je fais. Dès le premier pas, je marche sur une feuille craquante. Le lapin détale. Je ne le vois même, son odeur disparaît et je l'entends.

Bon, bah, je retire ce que j'ai dit : t'es rouillée.

Je ne peux qu'approuver.

Le temps de me relever, mon nez est attiré par la fumeur bien familière des boutons d'or. Je lève le museau, l'esprit soudainement aiguisé.

Tu crois vraiment que c'est le moment ?

C'est toujours le moment de faire des réserves.

Je la rejette un peu en arrière, après tout, c'est moi la guérisseuse. Elle par contre devait être une guerrière ou une chasseuse, vu le tempérament.

Un craquement me fait relever la tête. Puis l'odeur vient me frapper. Mes narines s'ouvrent grand, cette fumeur me plait. Pupilles dilatées, je sais que je vais chasser. Et pas des remèdes cette fois.

Hum... marcassin ?

Marcassin.

Les marcassins sont tendres, parfaits pour les louveteaux, même si nous n'en avons plus. Nous n'avons plus que de jeunes loups, des nouveaux adultes pas encore introduits comme tels. M'enfin, je me déconcentre. Ventre à terre, j'avance doucement. Cette fois, je fais attention, et mes pattes agilement évitent ce qui craque.

Et là, juste à un petit saut... ce joli marcassin. Il cherche de son museau sous la terre, comme s'il imitait ses aînés, qui fouillent plus loin. Grossière erreur mon petit de t'être éloigné ! Je bondis avant, pattes dressées, et m'abats sur le petit. Un coup de griffe bien placé vient lui couper la jugulaire et le vide de son sang en quelques secondes. La vie s'éteint dans ses yeux sans que son corps ne puisse faire un geste de résistance.

Je remercie silencieusement les dieux de la terre pour ce bébé tué, mais aussi leur demande d'être gentils avec lui. Il n'a rien demandé.

Pas mal pour une louve qui ne chasse plus.

Un sourire satisfait vient orner mes lèvres.

Je lève la tête. Bien évidemment, le reste de la horde c'est enfui. Je les comprends. Je compatis un peu avec la laie qui vient de perdre un bébé, mais au moins sa mort servira à quelque chose, pas comme celle de mes bébés à moi.

Pas d'état d'âme ma grande, tu chasses, c'est la vie. Ou plutôt c'est la mort.

Je soupire.

C'est réconfortant ça.

Je la sens cacher un sourire et je ne peux m’empêcher de vouloir afficher ce rictus moi aussi.

Le coeur ayant retrouvé sa légèreté, je reprends ma route en traînant le corps du marcassin. Je l'installe dans un creux entre deux racines et le recouvre rapidement de terre, histoire de ne pas me le faire piquer.

Si c'était un kura ça serait pas un gros problème.


Oui mais si c'est un vagabond, je préfère d'abord apporter ma proie à ma meute.

Mais je sais que si un vagabond affamé venait me voir, je lui donnerais probablement mon marcassin. Je chasse la pensée de ma tête et cherche à retrouver une bête.

Je marche un moment sans rien trouver. Ysael commence à me faire la conversation. Je ne sais pas comment, elle va chercher tous mes bons souvenirs et me les fait resurgir. La naissance de Xaomë. Des plus jeunes. Nos jeux, nos réussites. Peu à peu mon esprit s'entoure d'une bulle chaude et douce. Toujours aucune proie à l'horizon, mais je me sens très bien.

Un mouvement me fait dresser l'oreille. En tournant la tête, je vois ce gros oiseau pris entre les griffes de ronce. Va savoir comment il s'est retrouvé ici, mais toujours est-il qu'un des branches épineuses est enroulée autour de son aile, et qu'une autre est bloquée dans les plumes de son ventre. Bien évidemment, quand je m'approche, il se débat encore plus.

- Espèce de tête de piaff, calme toi, je vais juste abréger ta mort !

C'est vrai que c'est rassurant. Heureusement que ton joli faisan ne parle pas le loup.

Chut toi.

Je projette mon pouvoir en avant et lui intime de ne plus bouger. Mon pouvoir vient l'enserrer comme un étau. Bien, maintenant il s'époumone, mais au moins je vais pas me prendre un coup de bec, ça fait mal ces machins. Je m'approche un peu plus, avance ma gueule et d'un coup sec enfonce les crocs dans sa gorge. La jugulaire est rapidement sectionnée et l'oiseau meurt facilement. Une fois la flamme de la vie éteinte dans ses yeux, je retire mon pouvoir et arrache le corps à son piège de ronces.

Je recule, l'animal en gueule, et le porte jusqu'à mon petit marcassin. Les couchant l'un contre l'autre, je les recouvre une nouvelle fois et repars. La forêt s'éveille bien maintenant.

Bien. Et maintenant ? Tu continues à chasser des bêtes ou des plantes ?

Des bêtes. Enfin, si j'en trouve.

Car en effet je n'ai rien croisé depuis le faisan.

Toujours rien. Le soleil continue son chemin. Ysael a raison, peut-être que je devrais rentrer. Alors que je suis à ce stade de pensée, je tombe en pleins sur un magnifique buisson de romarin. Un cadeau divin ça. C'est Halley qui va être content.

Tu avais dit quoi ? Ah oui, que tu allais chasser des bêtes.

J'avais dit si j'en trouvais.

Je me penche pour cueillir délicatement la plante. Oui, c'est bien d'en avoir trouvé. Il faut absolument que je le note dans ma carte mentale, au cas où j'ai besoin de refaire des réserves.

T'inquiète je le fais pour toi.

Le sourire repasse sur mon visage. Encore en toujours mon Ysael qui m'aide et me soutient, même quand elle trouve cela ridicule.

Merci bien gentille assisstante.

Tu ne me vois peut-être pas, mais je te tire la langue !

Cette fois c'est un léger rire qui s'échappe de ma gueule, rapidement réprimé.

Merci bien gentille assisstante.

Tu ne me vois peut-être pas, mais je te tire la langue !