Rhapsody resta immobile, les pattes dans l'eau pendant longtemps. Très longtemps. Tellement longtemps qu'à partir d'un instant, il en arriva à se demander s'il n'était pas devenu une partie de la rivière dans laquelle il se trouvait. Il ne perdait pas espoir et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de songer au fait qu'il était très probablement maudit depuis le début de la journée. En toute une journée de traque et de chasse, il n'avait trouvé en tout et pour tout qu'une truite qui commençait à sentir fort à cause de la chaleur. Et il s'en voulait presque de ne pas être un peu plus performant. Lui qui aimait la chasse et la patience dont il fallait faire preuve parfois était forcé d'admettre que cette fois-ci, sa patience était mise à rude épreuve. Alors, quand le soir commença à tomber, le loup sombre dû faire face à un dilemme. S'obstiner et attendre encore ou se contenter d'une maigre proie et ré-essayer demain ?

Finalement et comme il ne semblait plus qu'aucun poisson ne passe par là, il attrapa la truite et quitta les lieux, un peu abattu. Il se rattraperait demain, c'était certain, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de songer au fait qu'il frôlait l'échec et qu'il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, s'il échouait de la sorte.

C'est donc avec sa truite un peu passée et la queue entre les jambes que Rhapsody commença à prendre le chemin du retour. Il était sérieusement agacé, frustré et abattu de ne pas avoir réussi là ou il excellait en temps ordinaires. Mais il ne devait pas totalement abandonner l'idée que demain, il parviendrait probablement à faire mieux. Il l’espérait tout du moins.

Et alors qu'il marchait tranquillement, une odeur l'arrêta. Une biche. Il reconnaissait cette fragrance si particulière entre mile, pour s'être entraîné sur des biches lorsqu'il apprenait encore l'art de la chasse, quelques années plus tôt. Il redressa la tête et observa les alentours. Et si c'était là sa dernière chance de peut-être repartir avec quelque chose ? Excité, il prit toutefois le temps d'analyser la situation. La biche était avec un troupeau, mais suffisamment à l'écart pour qu'un cerf ou autre ne vienne pas tenter de défendre la femelle. Elle n'était visiblement pas pleine et il ne sentait pas l'odeur du moindre faon à ses côtés. Parfait. Rhapsody laissa tomber sa truite, qui par son odeur forte risquait de le trahir et lentement, il s'approcha du gros gibier. L'animal somnolait, partagé entre l'envie de dormir et celle de rester alerte pour pouvoir s'enfuir au moindre danger. Lorsque le loup sombre l’aperçu enfin, il constata qu'elle commençait à se faire vieille et qu'elle avait récemment été blessée par un autre prédateur. Ce qui expliquait probablement qu'elle ait été ainsi mise de côté.

Alors Rhapsody n'attendit pas plus longtemps et décida d'attaquer. Il s'accrocha à la croupe de l'animal à peine éveillé en le faisant couiner de terreur et se hissa sur son dos tant bien que mal, avant de se jeter sur son cou et de l'achever rapidement. Rapide et sans douleurs superflues, c'était tout ce qu'il voulait. Fier comme un louveteau, il observa l'animal qu'il venait de tuer avec une certaine satisfaction, puis finalement, il décida qu'il était temps de rentrer maintenant. Avec sa biche et sa fameuse truite.

Ellipse de deux jours.

Rhapsody quitta la tanière de la meute en baillant à s’en décrocher la mâchoire. Il avait dormi toute la nuit sans se soucier du pourquoi ou du comment. La veille il était rentré d’une très courte excursion avec l’envie de rendre visite à l’une de ses sœurs. Mais comme elle était partie chassée, il avait décidé de rester avec les Kuragari et de se reposer un peu. Il ne faisait que très rarement ce genre de choses, pour éviter de subir les bruits intempestifs des plus jeunes et des plus vieux. Lui aimait le calme, la douceur et surtout, la sensation étrange d’être seul et de manquer à quelqu’un. Même s’il se devait bien d’admettre qu’il n’avait pas franchement l’impression de manquer à qui que ce soit depuis sa naissance.

Il s’étira longuement, puis, d’un pas léger mais vif, il s’éloigna à la recherche d’une piste à suivre. Le chasseur avait bien envie de retourner prendre un peu de poisson comme il l’avait fait quelques jours plus tôt, car il avait remarqué la curiosité des louveteaux à l’encontre de cette bien drôle de nourriture. Il marcha donc longuement avant de remonter un fin filet d’eau jusqu’à une rivière un peu plus large. Comme il n’y avait pas trop de remous et de nourriture par ici, il remonta encore la source, jusqu’à atteindre cette fois-ci une grande rivière, avec beaucoup de poisson. Mais son arrivée les avait probablement fait fuir, car s’ils les entendaient au loin, il ne parvenait pas les voir. Dommage, il aurait voulu commencer la pèche tout de suite.

Après un long moment, Rhapsody aperçu enfin quelques belles truites arc-en-ciel au fond de l’eau. Elles étaient d’une taille tout à fait raisonnable et il sourit à l’idée d’en ramener deux ou trois pour les plus jeunes. Alors, comme il l’avait fait quelques jours auparavant, il entra dans l’eau à peine tiède et s’avança quelque peu vers les remous. Là, le loup sombre aux yeux bleus attendit bien quelques minutes, totalement immobile, avant d’enfin apercevoir un premier poisson venir à sa rencontre. Il l’observa sans cacher une certaine curiosité, relativement étonné de rencontrer un animal aquatique aussi aventureux et intrépide. Il le laissa tourner autour de ses pattes sans broncher et accepta même que ses nageoires viennent le chatouiller un peu.

Puis, un autre poisson vint, cette fois-ci un peu plus gros et un peu plus grand. Toujours sans bouger, Rhapsody les observa nager autour de lui comme s’il n’existait pas. Puis finalement, après un long moment qui lui sembla être une éternité, il décida de passer à l’action. Et tout d’un coup, quasiment sans s’y attendre lui-même, il se jeta sur le plus gros poisson des deux et l’attrapa de sa mâchoire, déterminé à ne pas le laisser s’échapper. Le poisson résista et le chasseur le ramena sur la berge pour l’achever, avec satisfaction. Au moins, il ne rentrerait pas les pattes vides aujourd’hui !

Rhapsody resta quelques secondes à observer la truite qu’il venait d’attraper et sourit. Bien, la chasse commençait de la meilleure des façons possibles ! Avec un air très satisfait, il s’ébroua et attendit un peu avant de retourner dans l’eau. Cette dernière était un peu trop froide à son goût et il avait désormais l’impression que ses coussinets étaient gelés comme lorsqu’il marchait dans la neige en hiver. Il les lécha un peu, pour les réchauffer, puis alla s’asseoir au bord de l’eau pour profiter des premiers rayons du soleil.

Après un long moment, il se décida à reprendre sa chasse. Ou sa pèche. Les pattes dans l’eau, la truffe pas loin et l’œil alerte, il observa les poissons au loin qui refusaient d’avancer, visiblement perturbés par sa présence. Ils ne semblaient pas du tout enclin à l’idée de venir se faire attraper par Rhapsody qui restait pourtant totalement immobile. Il allait devoir faire preuve de beaucoup de patience aujourd'hui encore pour espérer trouver d'autres proies. Car il voulait rentrer la gueule pleine de poisson et obtenir ainsi, quelques approbation de la part des membres de la meute.

Après un très long moment, le soleil parvint enfin à éclairer la rivière dans laquelle se trouvait Rhapsody. Heureusement pour lui d’ailleurs, qui commençait à avoir un peu froid à rester immobile, les pattes dans l’eau. Il bailla d’impatience, puis reprit sa position initiale. Les poissons s’étaient un peu rapprochés de lui, maintenant qu’il était là depuis plusieurs minutes, mais ils refusaient catégoriquement de venir nager dans sa direction. Peut-être sentaient-ils à quel point le loup aux yeux bleus était un cruel et bien terrible prédateur. Bien loin de s’avouer vaincu alors que la chasse venait tout juste de commencer, Rhapsody restait encore et toujours parfaitement immobile. Tant et si bien qu’il avait à force l’impression de faire partie du décor. Et c’était le but ! De ses yeux inquisiteurs, il observait les créatures sous marines qui filaient nerveusement de part et d'autre de la rivière sans jamais trop s'approcher. Finalement, il allait devoir user de beaucoup de patience avant de pouvoir enfin en attraper un second !

Après un long moment à observer l’eau sans faire le moindre mouvement, Rhapsody aperçu avec délectation un gros poisson s’approcher de lui. Tellement gros que pendant un instant, il se demanda s’il ne devait pas esquisser un mouvement de recul. Le plus curieux, c’était que ce poisson aux couleurs ternes et étranges avait de longues moustaches, comme un félin. Pas le moins du monde dérangé par la présence des pattes du loup dans la rivière, l’animal aquatique faisait sa petite vie sans se soucier de quoi que ce soit d’autre. Le chasseur de la meute des Kuragari l’observa pendant quelques instants, tentant de déterminer s’il était dangereux ou non, avant de finalement décider de passer à l’action. Il se concentra, jusqu’à ce que le poisson soit assez proche, puis, d’un bond, il le coinça entre l’une de ses pattes et sa gueule béante. Le poisson se débâtit longuement, visiblement peu enclin à l’idée de se laisser ainsi capturer. Rhapsody peina, puis finalement, il vint à bout de la créature sous-marine et la hissa hors de l’eau, la déposant ainsi à côté de la truite qu’il avait eu un peu plus tôt.

Rhapsody observa le gros poisson qu’il venait juste d’attraper avec un grand sourire, très fier de lui. Puis finalement, il décida qu’un dernier serait bon, avant de rentrer. Alors, en trottinant, il retourna au bord de l’eau. Avec l’agitation qu’il avait causé, les autres poissons s’étaient agités dans tous les sens et étaient bien trop inquiets pour se soucier de l’ombre du chasseur Kuragari qui se penchait au-dessus de l’eau. Une truite assez grosse passa devant la truffe du loup aux yeux bleu et, comme il ne savait pas si une telle opportunité se présenterait à nouveau, Rhapsody décida de se jeter sur le poisson. Il l’attrapa du premier coup et le hissa hors de l’eau avec force.
Trois poissons, c’était bien assez pour aujourd’hui. Peut-être reviendrait-il ici demain, ou déciderait-il au contraire d’aller chasser quelque chose d’autre ailleurs, pour varier. Il n’était pas encore très sûr de ce qu’il ferait. Pour l’instant, il allait simplement se contenter de rentrer, de ramener les poissons et de profiter un peu de la meute, avant de s’en éloigner, pour aller visiter d’autres territoires qu’il ne connaitrait peut-être pas.

*ellipse d'un jour*

Nous étions le soir et Rhapsody avait décidé, contrairement à d'habitude, de ne pas dormir pour s'adonner plutôt à une petite partie de chasse. Il savait que beaucoup d'animaux étaient moins vifs d'esprits une fois la nuit tombée, alors que lui se sentait davantage en forme. Comme si les rayons de la lune lui procurait une seconde jeunesse, ou davantage de force, à la manière d'une fontaine de jouvence. C'était très plaisant pour le chasseur de la meute des Kuragari de humer l'air, sous un silence nocturne, à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Et ce fut une odeur de gros gibier qui parvint jusqu'à lui. Très probablement quelques sangliers qui retournaient la terre non loin d'ici. Eux aussi ne dormaient pas, profitant de la clémence de la nuit pour s’adosser à leur activité préférée ; la recherche de truffe.

D'un pas de velours, Rhapsody s'approcha discrètement du petit groupe jusqu'à en percevoir chaque individu. Son attention se porta sur une vieille laie un peu à l'écart. Elle serait sa proie ce soir. Il attendit encore quelques minutes, puis finalement, il passa à l'action, se lançant à la poursuite de l'animal. Il la plaqua au sol sans problème, sous les cris paniqués de ses congénères, puis, il l'acheva sans rechigner. Quand bien même était-elle une proie, il estimait qu'elle n'avait pas à souffrir.
Une laie, c'était assez pour ce soir, aussi décida-t-il de rentrer pour se reposer un peu.

*ellipse de deux jours*

Aujourd'hui il pleuvait. En soit, cela n'était pas trop perturbant pour Rhapsody qui savait s’accommoder de la pluie et la supporter, lorsqu'elle tombait lourdement sur son pelage humide. Non, ce qui le dérangeait réellement, c'était que la pluie avait tendance à brouiller les pistes, effacer les odeurs et perturber ses sens lorsqu'il partait en chasse. Or, il était sur la piste d'un chevreuil lorsque la pluie s'était abattue, ruinant là une grande partie de ses chances de retrouver l'animal. Fulminant contre cette eau mystique qui s'abattait sur lui avec la ferveur et la force d'un mauvais sort, Rhapsody n'abandonna pourtant pas l'idée de partir à la recherche de son repas. L’œil toujours alerte et ses oreilles constamment à l’affût, il décida de suivre le chemin sur lequel il avait pisté quelques effluves de son gibier à bois. Peut-être se trompait-il, mais il espérait de tout coeur que la pluie n'avait pas perturbé l'animal au point de le faire dévier de sa trajectoire initiale.
Cependant, au bout d'une heure, il dût bien admettre qu'il s'était trompé et que le chevreuil n'était pas là. Agacé, il décida de rebrousser chemin en espérant avoir plus de chance.

La pluie venait de se calmer, laissant place à quelques nuages sombres et à beaucoup d'humidité. La terre était boueuse et à mesure que Rhapsody avançait dans la forêt, il sentait ses pattes s'enfoncer un peu plus dans le sol devenu marécageux. Il était sale et méritait bien un bon bain, mais, par dessus tout, il se sentait fatigué de suivre ainsi une piste invisible. Pas de chevreuil en vue, et pire encore, alors qu'il était prêt à chasser n'importe quel animal se trouvant sur son chemin, il ne trouva rien. Comme si subitement, tous les animaux de la forêt avaient décidé, d'un commun accord, de se cacher du grand loup sombre, pour qu'il ne trouve rien à chasser. Tout cela était frustrant, réellement frustrant. Et à chaque fois qu'il suivait une piste, à chaque fois, elle s'avérait infructueuse. Il avait l'habitude de ne pas trouver tout de suite l'objet de sa convoitise, mais il avait beaucoup moins l'habitude d'échouer. Aussi décida-t-il de ne pas s'avouer vaincu. La prochaine piste serait la bonne, c'était une évidence !

Cette fois-ci, Rhapsody était sûr de suivre une piste fraîche. Il était passé par un fin sentier quelques dizaines de minutes plus tôt et avait déposé dans la gadoue des empreintes totalement perceptible. Or, voilà qu'en repassant exactement au même endroit après être tombé sur une énième fausse piste, il constatait non sans un certain étonnement que ses traces avaient pour compagnie celles d'un cervidé. Comme elles semblaient un peu moins profondes que les siennes, Rhapsody devina qu'il avait à faire à un animal de sa taille ou presque, mais bien plus léger que lui.
Se laissant emporter par une certaine frénésie, il décida de suivre ces tout nouveau indices. C'est alors qu'il perçu l'odeur de ce qui lui semblait être un chevreuil. Probablement celui qu'il avait pisté, beaucoup plus tôt dans la journée. Il entreprit donc de remonter sa piste, jusqu'à le débusquer derrière des buissons emplit de baies. Tombant nez à nez avec son futur repas, il n'hésita pas deux secondes avant de lui sauter à la gorge. Le cervidé n'eut pas le temps de demander son reste et Rhapsody, heureux, décida de rentrer avec son butin. Voilà encore une opération rondement menée !

*ellipse d'un jour*

Le lendemain, très tôt dans la matinée, Rhapsody quitta la tanière de la meute pour aller chasser. Il avait besoin de se dégourdir un peu les pattes et voulait chasser une dernière proie avant de partir explorer des terres inconnues. Et aujourd'hui, il espérait trouver quelque chose, rien qu'une dernière fois. Il se contenterait de la plus petite des proies, tant qu'elle pourrait faire l'affaire et convenir aux siens. L’œil toujours alerte et la truffe toujours au sol, Rhapsody avançait lentement dans le sous-bois, à la recherche d'empreintes ou d'odeurs qui pourraient faciliter sa traque.
Il finit par trouver la piste d'une petite horde de cerfs qui étaient passée par là quelques heures plus tôt. Satisfait, le loup décida donc de suivre le chemin qu'ils avaient déjà emprunté. Très rapidement, il les trouva derrière un bosquet, occupés à brouter. Sans trop attendre, il sélectionna un jeune mâle un peu à l'écart et dont les bois n'étaient pas assez grands pour lui faire du mal, puis, il s'élança. L'animal, surprit, se débattit violemment et rua dans le visage de Rhapsody. Pas assez fort pour le blesser sévèrement, mais suffisamment pour le secouer et le faire reculer le temps de prendre la fuite. Le chasseur eut du mal à se remettre de se vif rappel à la réalité et, le temps qu'il réalise ce qu'il se passait, toute la horde avait prit la fuite.