Je sens une proie sur ma droite. Je choisis sans attendre de la traquer pour pouvoir la tuer et l'apporter à cette âme qui semble avoir besoin d'aide. Je marche de plus en plus vite en direction de la source de cette senteur, le museau en l'air, à l'affut. Je me mets rapidement à courir plutot qu'a marcher avant de tomber sur un cerf qui broute. Sans attendre plus longtemps, je me mets à le courser, lui et sa petite famille. Je sais que cela ne se fait pas, mais une âme attend en urgence et je me dois de l'aider. Donc je poursuis cette bete et sa famille. Je prends plus d'appuis sur mes pattes pour me lancer toujours plus loin. Je passe entre les arbres je slalomme. J'attends qu'ils s'épuisent, je suis plus endurant qu'eux. Je continue toujours plus rapidement avant de bondir pour atterrir sur son dos. Sauf que le cerf m'esquive de très peu et l'autre me fonce dedans de sorte à ce que je reste au sol sans pouvoir faire grand chose. Je grogne en me relevant, lorgnant les deux animaux.

Délicatement, ta patte se posa sur le cadavre de lapin que tu venais de tuer il y a de cela quelques minutes. Tu n'avais pas versé une seule larme pour une fois : peut-être car tu t'étais faite une raison. Peut-être car tu savais que tu ne tuais pas pour rien, que tu le faisais pour rendre service. Et que dans le fond, ou plutôt dans un sens, tu avais l'impression d'agir avec devoir. Comme si cette chasse participer à une vie. Mais surtout, comme si cette chasse te permettait de grandir mentalement, de devenir celle que tu avais toujours voulu être. Oh bien entendu, chasser n'était pas synonyme de guérir. Cela ne faisait pas du tout parti de ton vocabulaire, mais ça te permettait de soigner quelque peu Rakuen. Comme si grâce à tes proies, tu l'aidais à aller mieux. Ouais, au lieu de pleurer, tu étais presque fière de faire ce que tu faisais actuellement. Et pour une fois, tu n'avais pas du tout fait souffrir l'animal. Non, pour une fois, tu l'avais simplement pourchassé pour ensuite lui trancher la gorge d'un seul coup de croc. Oh bien entendu, son petit couinement t'avait tout de même arracher un petit pincement au coeur. Tu n'étais pas sans coeur et ne le serais sans doute jamais. Tu étais bien trop émotive, bien trop pure et gentille pour le devenir, nous semble-t-il.

Finalement, tu pris la lapine dans ta gueule et l'emmena jusqu'à l'arbre où tu avais déposé la souris de la dernière fois. Cette dernière avait disparu, ce qui signifiait que Rakuen appréciait grandement tes offrandes. Tu léchas une dernière fois ta proie, comme un dernier adieu, et retournas dans la forêt. Là, tu reniflas le sol, tu grattas, tu humas l'air, mais aucune odeur n'était présente. Cette lapine serait sans doute ton unique offrande de la journée. Alors avec un petit hochement de tête, tu fis demi-tour et retourna près des glaciers. Un endroit où tu te sentais réellement à ta place. Le seul endroit où tu étais vraiment toi-même. Nous te suivons avec fierté, mais surtout loyauté. Nous détestions cet endroit, mais nous n'avons pas le droit de t'en parler : tu serais bien trop malheureuse de nous infliger cela.

A quatre ans, il devrait savoir chasser, n'est-ce pas ? Il devrait connaître cela tout de même. Alors pourquoi aujourd'hui n'y arrive-t-il pas ? Pourquoi toutes les proies qu'il cherche s'en vont si brutalement ? La Nature a-t-elle décidé de le punir ? Le punir de vouloir retrouver sa fille ? Punir de vouloir redevenir un loup lambda ? Il devrait pouvoir se nourrir pourtant. Il allait mourir sinon et ça, la Nature ne l'accepterait sans doute jamais. Mais pourtant, elle laissait ses proies disparaître. Il revoyait encore ce lapin qui s'enfuyait presque en riant en le voyant. Ou bien encore ce renard ... Oui, il mangerait n'importe quoi pour subvenir à ses besoins, même des sois-disants prédateurs. Un soupir passa ses babines tandis qu'il s'en allait de la forêt, la haine au coeur et la faim au ventre. Il n'aurait jamais cru devoir supplier un jour la Nature de lui offrir de la nourriture. Oh bien sûr, aujourd'hui c'était différent. Aujourd'hui, il chassait pour Rakuen, pour lui permettre de survivre. Mais à croire que la Nature refusait les droits que se conféraient la déesse. Le loup gris disparut rapidement derrière un buisson. Il retenterait une prochaine fois.

Brusquement, un sanglier apparut de derrière un buisson. Il couinait de rage, tout en défonçant tout ce qui pouvait se trouver sur son chemin. Etait-ce réellement de la rage qu'il hurlait ? Je n'en suis pas certaine, puisque sa queue était plaquée contre son fessier musclé. Mais de quoi pouvait-il avoir peur ? Un sanglier avait rarement peur de quelque chose pourtant. Il était tout de même l'animal le plus dangereux de la forêt, tout du moins c'est ce que la Nature avait dit à sa Main. Mais ça ne l'avait pas dérangé. Il avait vu ce sanglier, cherchant dans la terre les truffes, ainsi que les champignons, et le loup était resté caché derrière un buisson. Il chassait depuis longtemps, assez pour savoir comment surprendre sa proie. Il avait attendu plusieurs minutes, il ne saurait dire combien exactement. Et finalement, il se jeta sur le sanglier. Mais évidemment, ce dernier l'avait projeté en arrière avec son dos. Le loup, le temps qu'il se relève, le vit s'enfoncer dans les buissons. Il partit rapidement à sa poursuite, sachant parfaitement qu'il le perdrait. Il lui courut après pendant plusieurs minutes, voire heures, et l'animal s'était sans doute roulé dans la boue puisqu'il perdit sa trace. Le loup gris grogna de haine et finit par disparaître dans un buisson : il retenterait une prochaine fois. Il prononça des excuses silencieuses à la Déesse avant de partir.

Un soupir de lassitude passa la barrière des crocs du mâle gris. Combien de temps cela faisait-il qu'il courrait dans la forêt, en recherche de proie ? Le pire c'est qu'il n'a même pas faim le bougre. Il fait cela pour sauver la peau d'une déesse. Une déesse qui lui a offert comme cadeau ce pauvre fardeau. Etait-il réellement heureux de vivre au gré de la Nature ? Réellement non. Oh bien sûr, certains loups pourraient dire que c'est merveilleux, qu'il faut profiter, mais s'ils vivaient un millième de ce qu'il vit actuellement, ils réfuteraient sans doute tout cela. Il n'en pouvait plus de voir tous ces morts, il n'en pouvait plus de devoir parcourir des kilomètres pour bénir une naissance. Il avait réellement l'impression d'être une marionnette entre les mains de la Nature. Peut-être est-ce exactement ce qu'il est dans le fond ? Il ne préfère ne pas y penser. Finalement, le mâle passa un buisson et partit de la forêt. Il n'y avait réellement rien de bien intéressant actuellement. Un regard se porta sur la tonne d'offrande et il secoua la tête. Les loups savaient-ils que plus de la moitié sera dévorée par les carnassiers ? Sans doute pas. Il posa un regard sur l'horizon et finit par disparaître en courant. Il n'avait réellement plus rien à faire là.